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ROMAN POPULAIRE

Le roman populaire est-il réactionnaire ?

Marcel Allain, orfèvre en la matière, définit ainsi le roman populaire : « S'adressant à un public divers, il aura souci, tout d'abord, de ne choquer aucun des éléments constitutifs de ce public. Il ignorera toute question politique, toute discussion religieuse : ce serait restreindre, a priori, le nombre des lecteurs éventuels. Il évitera tout ce qui pourra donner matière à critique. » C'est en limiter singulièrement les ambitions. L'objectif du roman populaire est donc d'amuser, d'effrayer, de faire pleurer ou frémir, mais n'attendons de lui aucun message, aucune contestation. Si, dans le Policier apache, l'un des meilleurs épisodes de Fantômas, « le regard posé sur les classes possédantes est singulièrement narquois : magistrats solennels et imbéciles, hommes politiques corrompus, curés à la solde du pouvoir, militaires arrogants, grandes dames désœuvrées et frivoles, parasites de toute espèce, telle est la vision de la société qui transparaît », Claude Dauphiné, qui s'est livré à une analyse sociale du contenu du volume, ajoute : « Faut-il, parce que cette description est dure, en déduire que l'œuvre est sous-tendue par des sentiments démocratiques ? Nous ne le croyons pas et sommes plutôt tentés de penser que cette peinture, satirique il est vrai, de la bonne société s'adresse avant tout au lecteur qui lui appartient. Les auteurs savent que leur meilleure cible est aussi leur meilleur public. » Si l'on a pu voir un lien entre le mouvement anarchiste, d'une part, Fantômas, Zigomar et Arsène Lupin de l'autre, il est mince. Aucune subversion sociale, même si Marcel Allain se déclare « de gauche » et, avant lui, Eugène Sue, socialiste. « Fantômas n'a aucun côté peuple, aucune sympathie pour les humbles. Sa lutte contre les riches n'est pas révolutionnaire, ni anarchiste. Simplement Fantômas va chercher l'argent où il se trouve et n'est mû que par la cupidité et le goût de la performance dans le crime », conclut Claude Dauphiné. Arsène Lupin serait, certes, plus généreux, mais il se montre trop « paternaliste ». Quant à Chéri-Bibi, il paraît surtout préoccupé par ses propres intérêts. Le marxisme est absent du roman populaire, même si, comme l'a montré Jean Domarchi, Marx a été fasciné par Eugène Sue.

La vision de la femme reste conforme aux interdits de l'époque : l'ouvrière, objet de la lubricité des fils de famille, est condamnée à être séduite puis rejetée une fois enceinte ; ainsi flétrie, elle ne sera régénérée que par le travail (Le Roman d'une ouvrière, 1891). La cocotte, la demi-mondaine, doit être, à la fin du récit, durement punie, plus durement même que les viveurs qui l'entourent (cf. les romans de Félicien Champsaur). En dessous, la prostituée est vouée à une déchéance physique atroce, dont on va puiser les détails dans la grande enquête de Parent-Duchâtelet sous la monarchie de Juillet. Heureuse, en revanche, est la douce héroïne qui s'est gardée vierge jusqu'au mariage ; elle sera protégée par l'amoureux-justicier, la mère meurtrie ou le bienfaiteur entouré d'ombre, celui-ci pouvant être le père inconnu ou un soupirant trop âgé qui garde secrète sa passion.

Le racisme du roman populaire, surtout dans les récits exotiques, est incontestable. Bons ou mauvais, les Noirs sont promis aux crocodiles et aux serpents ; on verse un léger, très léger, pleur sur les premiers ; on se réjouit de la mort des autres. De toute façon, le Noir ne saurait être considéré autrement que comme le meilleur serviteur de l'homme. L'Asiatique fait peur. Pour quelques visions nuancées (Jean d'Esme ou O.-P. Gilbert), que de dénonciations du « péril jaune » ! Un péril qu'incarne, avec un raffinement inouï de cruauté, le diabolique[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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