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ROMAN Roman et cinéma

Le va-et-vient entre cinéma et roman

Le statut du scénario

Une question nouvelle se pose, celle du statut du scénario. On sait que les scénaristes dans le système des studios américains sont des employés comme les autres. En 1922, Photoplay Plot Encyclopedia précise qu'il n'existe dans l'humanité entière qu'un nombre limité de situations auxquelles se trouvent confrontés les hommes, et à travers lesquelles ils s'affrontent. Ces situations sont en relation avec les conflits émotionnels fondamentaux. Gozzi, Goethe et G. Polti parlaient de trente-six situations dramatiques possibles. Photoplay Plot Encyclopedia donne le même chiffre. Tout récit est la combinaison d'un certain nombre de ces situations. Chacune d'entre elles est examinée, décomposée en autant d'éléments qu'il est nécessaire, puis commentée. Si la classification des émotions ou des situations suppose une certaine pérennité de l'humain, elle transforme également le matériel narratif en un magasin d'accessoires. Le manuel du parfait scénariste rejoint ici le manuel du parfait bricoleur. S'il ne s'agit que d'ajointer des pièces, deux problèmes se posent aux scénaristes : celui de la progression dramatique, c'est-à-dire d'une gradation et d'un climax (peut-on commencer par un moment dramatiquement ou émotionnellement fort ?), et celui de la prééminence à accorder à l'intrigue ou au caractère des personnages. Ce genre de dilemme était pareillement proposé aux apprentis romanciers pour les revues à bon marché appelées pulp magazines. L'identité des conseils dispensés s'explique par une conception standardisée du travail littéraire ou cinématographique. On a pu dire que le cinéma égyptien s'est appuyé sur un nombre restreint d'« histoires traditionnelles » ; les scénaristes se seraient limités à peu de sujets, entre dix-sept et trente-six. Hollywood est tout à fait dans la même lignée.

Pier Paolo Pasolini - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Pier Paolo Pasolini

Le scénario peut être envisagé autrement. N'est-il qu'une étape préalable au tournage d'un film, l'équivalent d'un échafaudage qui disparaîtrait une fois l'ouvrage achevé, doit-il se perdre dans le film ou constitue-t-il une œuvre à part entière, trouvant sa fin en lui-même, comme l'a prétendu Pier Paolo Pasolini ? L'écrivain italien envisage le scénario comme oscillant entre le récit littéraire et une autre « langue ». La lecture du scénario devient alors l'expérience du passage de la structure littéraire à la structure cinématographique. Cette position solitaire présente l'avantage de donner au scénario un statut particulier, semi-autonome puisque intermédiaire, mais défini par le mouvement vers, la tension entre, le procès. Il y eut des tentatives pour imaginer des genres médians ou frontaliers. Ainsi, les éditions Gallimard lancèrent en 1925 le programme d'une collection intitulée Cinarios qui regrouperait des ouvrages écrits « dans une forme qui s'apparente au langage cinématographique ».

D'une autre manière, un ouvrage intitulé Anthologie du cinéma invisible (1995) rassemble cent scénarios ayant pour auteurs principalement des écrivains ; la caractéristique de ces scénarios est qu'ils n'ont jamais été portés à l'écran. Ils témoignent d'une attirance incoercible, celle que la flamme exerce sur le papillon, et pas seulement du désir de gagner rapidement et facilement de l'argent (comme William Faulkner ou Francis Scott Fitzgerald à Hollywood). Parmi les noms de ces écrivains figurent ceux de Gabriele D'Annunzio, Stefan Zweig, Klaus Mann, Henry Miller...

Les écrivains adaptant des écrivains, le résultat aboutit à une série d'emboîtements parfois très sophistiqués. Roger Vailland, par exemple, travaille à l'adaptation des Liaisons dangereuses (1960)[...]

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Mario Soldati - crédits : Leonardo Cendamo/ Getty Images

Mario Soldati

Autant en emporte le vent, V. Fleming - crédits : MoviePix/ Silver Screen Collection/ Getty Images

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