Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ROMAN Roman et cinéma

Le mot et l'image

Selon Käte Hamburger, le film « remplace la force imagée du mot par la force verbale de l'image ». Comment interpréter ce chiasme qui pourrait n'être qu'une formule brillante ? Une manière simple et banale d'envisager la lecture veut qu'elle incite à « imaginer » (même si ce n'est, comme Sartre le dit, que dans « les ratés de la lecture » – existe-t-il d'ailleurs une lecture sans ratés ?). Semblablement, l'expérience du quotidien apprend que voir un film éveille le désir d'en parler, de le raconter, de le réinventer avec des mots. À un autre niveau, Albert Laffay faisait remarquer qu'il y a au cœur de tout film « une structure sans images » résultant de ce qu'il appelle « une intervention ultra-photographique ». Le cinéaste Jean-Daniel Pollet, dans L'Entre Vues, s'exprime à propos de « l'image qui parle », ou de « l'impression d'une parole derrière l'image ». Claude Ollier note, lui, que l'interrogation du monde opérée par Sternberg « au moyen de l'objectif et du microphone, n'est pas sans s'apparenter de loin à celle que poursuit l'écrivain par son travail sur le langage et la rhétorique narrative : courtisant l'éphémère et l'apprivoisant, elle met en exergue un discontinu fondamental, le sublime, et en retour se désigne elle-même comme lacunaire, parcellaire, en toute image périssable ». Cette définition peut s'étendre à bien des cinéastes, à Eisenstein comme à Ophuls. Ainsi le rapprochement du travail du cinéaste de celui de l'écrivain ou le fait que le langage hante les films (entre visible et sonore) peuvent-ils donner lieu à de sérieuses argumentations. Mais il semble que l'on puisse lire autre chose encore dans la formule de Käte Hamburger. Ici le mot, là l'image ; ici une force imagée, là une force verbale ; ici la littérature, là le cinéma. Le partage n'est sans doute pas aussi simple puisqu'une présence sous-jacente du langage est repérable dans ce monde d'images qu'est tout film. De surcroît, cet échange entre le visible et le verbal peut également s'interpréter comme un échange d'hallucinations : l'écrit comme le visible nous feraient halluciner en opérant des croisements entre celles de nos facultés mises en cause. L'intervention d'une force imagée dans un cas et celle d'une force verbale dans l'autre font que si l'on voit « en creux » dans un film la place de l'écriture occultée, on devrait halluciner par-dessus un roman le film qu'il projette implicitement en avant de lui comme une ombre « portée ».

Patrick Drevet, écrivain qui est en même temps cinéaste et photographe amateur constate : « Les images que j'obtiens ne comblent pas le désir que j'en ai, et celles dont je pourrais être le plus satisfait, j'éprouve encore le désir de les décrire. » Il reste ce fait mystérieux qu'une image nous invite à l'écriture ; il nous fait nous interroger sur les pouvoirs de l'écriture chargée de décrire ce que montre l'image filmique. Il ne s'agit pas tant des ciné-romans, romans films ou autres romans cinéoptiques de naguère, encore que ces publications cherchaient à prolonger la fascination ou l'émotion reçues du spectacle cinématographique. Il est d'autres voies.

Le Malheur au Lido de Louis-René Des Forêts est un hommage à Pierre Klossowski qui, un jour, avait parlé devant lui avec émotion du film de Luchino ViscontiMort à Venise, lui-même adapté du récit de Thomas Mann auquel se réfèrent explicitement des détails du texte de Des Forêts. Marie-Claire Ropars-Wuilleumier montre que « l'impulsion lancée par le film de Visconti ne s'arrête pas au cinéma mais revient, par la musique et Des Forêts, à la littérature[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

Mario Soldati - crédits : Leonardo Cendamo/ Getty Images

Mario Soldati

Autant en emporte le vent, V. Fleming - crédits : MoviePix/ Silver Screen Collection/ Getty Images

Autant en emporte le vent, V. Fleming

François Truffaut - crédits : Santi Visalli/ Getty Images

François Truffaut

Autres références

  • ROMAN D'AVENTURES

    • Écrit par
    • 3 878 mots
    • 9 médias

    À la fin du xviiie siècle, une mutation remarquable vient affecter le genre du récit de voyage : alors que l’âge classique avait privilégié les connaissances rapportées par le voyageur, le nouveau récit s’organisa autour de la personnalité de ce dernier, de ses sentiments, des aventures survenues...

  • ROMAN FAMILIAL

    • Écrit par
    • 847 mots

    C'est dans le livre d'Otto Rank, Le Mythe de la naissance du héros (1909), que Freud inséra un petit texte intitulé « Le Roman familial des névrosés ». Le phénomène auquel se rattache ledit « roman » est le processus général de distanciation entre parents et enfants, processus...

  • ROMAN HISTORIQUE

    • Écrit par
    • 1 009 mots

    Le roman a toujours puisé dans l'histoire de quoi nourrir ses fictions et leur donner les prestiges du vraisemblable. Mais, en tant que genre spécifiquement déterminé, le roman historique a pris son essor — comme la plupart des formes romanesques — au xixe siècle, alors que la bourgeoisie...

  • ROMAN POPULAIRE

    • Écrit par
    • 4 060 mots

    C'est au moment où la narration hésite entre différentes formes d'expression que s'effectue un retour aux sources populaires, à cette littérature qui privilégia l'imagination aux dépens de l'intelligence, le style direct contre le langage obscur, le respect des valeurs établies face à la remise en question...

  • ROMAN SENTIMENTAL

    • Écrit par
    • 2 475 mots
    • 1 média

    En 2015, tandis que 12 p. 100 des Français se déclarent lecteurs de romans sentimentaux (Les Français et la lecture, mars 2015), Marc Levy est l’auteur français contemporain le plus lu dans le monde (sondage Opinionway, 18 mars 2015). Roman à l’eau de rose, littérature sentimentale, romance : voici...

  • GENRES LITTÉRAIRES, notion de

    • Écrit par
    • 1 847 mots
    ...quadripartition aristotélicienne (dramatique haut, dramatique bas, narratif haut, narratif bas), il n'était presque rien dit du dernier terme (la parodie). Cette case demeurée vide semble faite pour accueillir le roman, qui n'est autre qu'une représentation d'actions de personnages inférieurs en mode narratif....
  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par , , , , , , et
    • 29 784 mots
    • 28 médias
    Le roman forme l'essentiel de l'activité littéraire. Le romancier afrikaner choisit, durant cette période, de donner à sa langue une dimension qu'elle ne possède pas encore. Il s'agit de produire, aussi rapidement que possible, l'équivalent d'une quelconque littérature romanesque européenne. Le roman,...
  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par , , , et
    • 24 585 mots
    • 33 médias
    La première moitié du xxe siècle est, en Allemagne comme ailleurs, l'âge des sommes romanesques. Si certains, comme Heinrich Mann (1871-1950), s'en tenaient à l'image satirique et à la caricature, son frère Thomas (1875-1955) érigeait ses architectures savantes, où thèmes et leitmotive s'enchevêtrent...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par , , , , , et
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    La publication, en 1922, de Ulysses changea radicalement la conception du roman. Joyce avait révélé les possibilités illimitées offertes par le jeu avec et sur le langage. Dès les années 1930, cependant, les romanciers anglais réagissaient contre les innovations de leurs grands prédécesseurs, pour en...
  • Afficher les 75 références