VISHNIAC ROMAN (1897-1990)
Photographe le plus réputé du monde juif est-européen, Roman Vishniac a fixé à jamais l'univers des shtetls (village ou quartier juif d’Europe de l’Est avant la Seconde Guerre mondiale) et du yiddishland à travers des images inoubliables et des portraits saisissants. Ses photographies, prises à la veille de la Seconde Guerre mondiale, devaient alerter le monde sur la menace pesant sur les juifs de Pologne. Elles sont devenues quelques années plus tard le témoignage d'un monde disparu, balayé définitivement dans les camps d'extermination.
Pourtant, jusque dans les années 2000, de larges pans de son travail restaient ignorés et ses archives n'avaient pas été étudiées. L'objet de l’exposition, conçue par Maya Benton à l'International Center of Photography (New York, 18 janvier - 5 mai 2013) sous le titre Roman VishniacRediscovered et présentée au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (Paris, 17 septembre 2014 - 25 janvier 2015) sous l’intitulé De Berlin à New York, 1920-1975, est précisément de faire découvrir l’œuvre photographique de cet artiste dans toute sa diversité. Elle révèle un photographe humaniste, témoin du xxe siècle.
De Berlin à Cracovie
Né à Pavlovsk, près de Saint-Pétersbourg, en 1897, Roman Vishniac grandit à Moscou, où il étudie la biologie et la zoologie. Fuyant le régime soviétique, il émigre à Berlin en 1920. Là, il se passionne pour la photographie, arpentant les rues de la ville dont il saisit la vie des passants, les commerces et les petits métiers. Dans cette capitale des arts, où s'épanouissent l’expressionnisme, la nouvelle objectivité, le Bauhaus et le cinéma muet, Vishniac s'imprègne des nouveaux courants esthétiques, sans y sacrifier sa liberté. Sa vision du hall de la gare Anhalter semble issue du film M. Le Maudit (1931) de Fritz Lang, tandis que son portrait d'une tête de cheval est construit comme un tableau abstrait.
C’est dans les rues de moins en moins paisibles de Berlin que Vishniac observe les signes précurseurs de la montée du nazisme, tels ces drapeaux avec croix gammées que l’on distingue au-dessus des portes. Quand les mesures contre les juifs s'amplifient, le fait même de prendre des photos dans la rue devient dangereux. Pour ne pas éveiller de soupçons, Vishniac fait poser sa fille devant ses sujets, comme cette devanture de magasin où sont exposés des instruments de phrénologie destinés à distinguer les « aryens » des juifs.
Son travail est remarqué par l’American Jewish Joint Distribution Committee (Joint). Il commence alors à travailler pour cette organisation de secours juive. Ses photographies s'attachent à décrire l'action communautaire en faveur des juifs : dispensaires, aide à l'émigration, soupes populaires, formation aux métiers manuels. C'est dans les portraits qu'excelle Vishniac, tel que celui de ce petit cuisinier malicieux, dont la position légèrement décalée sur la gauche dynamise l'image.
En 1935, commence la mission du photographe en Europe de l'Est. Toujours à l'instigation du Joint, muni d’un appareil Rolleiflex, il effectue jusqu'en 1938 de nombreux voyages en Pologne afin de rendre compte des effets désastreux des mesures antisémites qu’a prises le gouvernement polonais. Il photographie des colporteurs réduits au chômage par le boycott, ou des familles qui s'entassent dans des logements en sous-sol à Varsovie. Il fait là le portrait de la petite Sara au regard si intense, qui deviendra un de ses clichés les plus célèbres.
Mais Vishniac saisit aussi la vie des commerçants et le quotidien des populations. Il capte la poésie des rues de Cracovie, Lublin ou Vilnius. De Ruthénie subcarpatique, située aux confins de la Roumanie, il rapporte des images très fortes d'un monde juif traditionnel et rural.
En 1939, Roman Vishniac quitte l'Allemagne.[...]
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Écrit par
- Nicolas FEUILLIE : responsable des collections photographiques au musée d'Art et d'Histoire du judaïsme
Classification
Média