ROMANCERO, Heinrich Heine Fiche de lecture
Le Romancero (1851), dernier grand recueil lyrique de Heinrich Heine (1797-1856), l'écrivain allemand exilé à Paris, expose dans une veine grinçante et radicale le bilan d'un rapport singulièrement déchiré avec le genre poétique. Dès le Livre des chants (1827), Heinrich Heine avait discrètement sapé les fondements de la poésie romantique allemande en situant son écriture dans la proximité insistante du cliché et en soumettant les modèles romantiques à un travail de décalage qui ne les autorisait plus à déboucher sur une autre révélation que celle de la banalité. Les Nouveaux Poèmes (1844) avaient creusé l'écart qui séparait Heine de la poésie de « l'époque artistique » allemande (l'époque de Goethe). L'invention d'un genre nouveau, le « poème actuel » (Zeitgedicht), ouvrit la voie à une pratique outrancière et virtuose de la satire politique, dont Heine livra bien des exemples irrésistibles. Les épopées en vers (Germania. Un conte d'hiver, 1844, et Atta Troll, 1847) attestent elles aussi l'efficacité de bouffonneries politiques dans lesquelles Heine ne craignait pas d'avoir recours à des fables animales et aux différentes figures du grotesque et du « bas corporel » pour porter un coup fatal aux représentants d'une Allemagne réactionnaire qu'il avait fuie pour s'installer dans la capitale de la Révolution.
L'impossibilité de la poésie
Dans le Romancero, la langue poétique de Heine assume toutes les tensions de l'œuvre antérieure pour produire le paradoxe d'une poésie envahie de prose et comme appliquée à sa propre destruction, dans une conscience aiguë de la contradiction qui existe désormais entre le lyrisme et les formes crues de la réalité. L'engagement – pour Heine comme pour Paul Celan (1920-1970), son lointain héritier – ne peut passer par l'entité réconciliée d'une « poésie engagée » : il implique une réflexion de la poésie sur elle-même qui la porte à exhiber douloureusement sa propre impossibilité. Dans la langue du Romancero, cette dissonance partout perceptible s'expose dans de brusques dénivelés, des changements de ton, une recherche systématique de l'incongruité, une prédilection pour les rimes de mauvais goût et un recours à tout ce que proscrit le « bon usage » poétique – les répétitions, notamment. La fixité du cadre métrique et strophique (Heine utilise le plus souvent, comme dans la plupart de ses poèmes, des quatrains en vers de quatre pieds) conforte le caractère « déplacé » de ces transgressions, qui ne sont pas sans expliquer le faible écho rencontré en France par une poésie dont on peut être tenté d'attribuer le foncier prosaïsme à une « maladresse » de traducteur, et dont la non-conformité avec l'image la plus répandue du lyrisme allemand n'a pu que dérouter.
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Écrit par
- Isabelle KALINOWSKI : directeur de recherche au C.N.R.S.
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Autres références
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HEINE HEINRICH (1797-1856)
- Écrit par Pierre GRAPPIN
- 2 689 mots
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Le dernier de ses grands recueils poétiques, le Romanzero a été publié en 1851. Il est le plus riche et il contient ses pièces les plus émouvantes, en particulier ses méditations sur la maladie, la mort, le dieu des Hébreux et le destin des âmes.