ROMANCES SANS PAROLES, Paul Verlaine Fiche de lecture
Un art de la nuance
Cette présentation dessine un recueil plus hétérogène qu’il n’y paraît. Hétérogénéité à mettre en partie en relation sans doute avec la double injonction à laquelle se trouve alors soumis Verlaine, tiraillé entre Mathilde et Rimbaud et les voies existentielles et poétiques opposées qu’ils incarnent. La tentation est évidemment grande de rechercher dans Romances sans paroles des traces de l’influence de « l’homme aux semelles de vent », comme Verlaine a lui-même surnommé Rimbaud. Sans se révéler totalement vaine (on constate en particulier, au moins dans « Ariettes oubliées » et la plus grande partie des « Paysages belges », un rejet commun du lyrisme romantique), cette recherche conduit surtout à conclure que son rôle aura d’abord été de pousser – peut-être de forcer – Verlaine à être… lui-même. Le titre pourrait d’ailleurs déjà le suggérer : référence aux Lieder ohneWorte du compositeur Felix Mendelssohn, il est avant tout une autocitation, reprise du poème « À Clymène » des Fêtes galantes : « Mystiques barcarolles,/Romances sans paroles,… ». Au reste, en plaçant le recueil sous le signe d’une musicalité « pure », débarrassée de tout « attirail » intellectuel (« sans paroles »), ce titre semble l’inscrire d’emblée au cœur de l’art verlainien, comme une illustration anticipée du célèbre « Art poétique » composé en 1874 : « De la musique avant toute chose […] Et tout le reste est littérature ». Cette référence à la musique est présente dès le titre de la première section, « Ariettes oubliées », ainsi que dans la thématique dominante de ces neuf premiers poèmes, et trouve sa traduction proprement poétique dans une prosodie caractéristique, avec ses mètres courts (ariette III, « Walcourt », « Charleroi », « A poor young shepperd »…) et impairs (ariettes I, II, VIII, « Bruxelles »), ses ruptures rythmiques voire ses « dissonances » (ariette VI, « Birds in the night »…), sa contestation de la rime (« Ô qui dira les torts de la Rime ? ») par appauvrissement (ariettes V, VII, « Child Wife »…), quasi-disparition (ariette III) ou, à l’inverse, prolifération (« Bruxelles »).
Une telle lecture appelle néanmoins deux nuances. D’une part, si l’inspiration musicale domine bien en effet dans « Ariettes oubliées », elle tend à laisser la place à une inspiration plus picturale dans « Paysages belges » et, en partie, dans « Aquarelles », comme le titre l’annonce. D’autre part, un poème n’est pas une partition, et les mots ne se laissent pas si aisément « désémantiser ». La musique évoquée est ici d’ailleurs le plus souvent… chantée. La poésie de Verlaine dit bien quelque chose, et l’on retrouve dans Romances sans paroles des thématiques déjà présentes dans les recueils précédents, comme la quête toujours déçue d’un amour idéalisé, à la fois fusionnel et protecteur (ariettes I, II, IV, VII, « Birds in the night » et toute la section « Aquarelles »). Mais c’est surtout le sentiment de « vacuité du moi » (Daniel Bergez) – cette forme de mélancolie si typiquement verlainienne – qui trouve ici son expression peut-être la plus aboutie, aussi bien dans les paysages évoqués, transitoires (automne, crépuscule…), indéfinis (plaines, étangs…) et évanescents (brume, pénombre) ou dans l’angoisse du temps qui passe et de l’effacement dans l’oubli (« Ariettes oubliées », ariettes II et V, « Bruxelles, Simples fresques », « Birds in the night »…), que dans une forme poétique prônant, à rebours de l’effusion romantique, la nuance (« Car nous voulons la Nuance encor/Pas la Couleur, rien que la nuance ») et la légèreté (« Sans rien en lui qui pèse ou qui pose »), celle-ci étant entendue[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
Autres références
-
VERLAINE PAUL (1844-1896)
- Écrit par Georges ZAYED
- 3 873 mots
- 1 média
...intercesseur à la fois poétique et vital : Rimbaud. Impure sur le plan moral, cette expérience l'a purifié au point de vue poétique. C'est pourquoi les Romances sans paroles (1874), fruit de cette conjonction unique, résonnent si profondément, si mystérieusement. Mais Verlaine est incapable de suivre...