CHEVALERIE EN ESPAGNE ROMANS DE
Au moment où il se propose d'imiter, dans la sierra Morena, la pénitence d' Amadis à la Roche Pauvre, Don Quichotte confie à Sancho Pança : « Amadis fut le nord, l'étoile et le soleil des chevaliers vaillants et amoureux et c'est lui que nous devons imiter, nous tous qui sommes engagés sous la bannière de l'amour et de la chevalerie » (trad. L. Viardot). Si Don Quichotte se propose d'imiter gratuitement et de façon burlesque l'un des épisodes les plus frappants du célèbre roman, son jugement sur Amadis ne manque pas de justesse. Ce fut en tout cas celui de plusieurs générations pour qui ce héros fut un modèle parfait et pour qui le roman qui rapporte ses aventures fut aussi le modèle des romans de chevalerie.
Il ne faut pas oublier que l'Amadis échappe au terrible bûcher qui purifie la librairie de Don Quichotte, cette librairie coupable de la folie du généreux hidalgo. La nièce veut tout brûler, la gouvernante exorcise l'enchanteur qui habite ces livres maléfiques. Plus sage et plus éclairé, le curé aidé de maître Nicolas, barbier, fait un choix, garde ce qui lui semble bon et jette dans la basse-cour, pour y être brûlés, les ouvrages dangereux ou extravagants. Or, il examine d'abord les quatre volumes d'Amadis de Gaule. Iront-ils au bûcher ? « Selon ce que j'ai ouï dire, dit-il, ce livre est le premier roman de chevalerie qui fut imprimé en Espagne et tous les autres ont pris de lui naissance et origine. Il me semble donc que, en tant que fondateur d'une si méchante secte, nous devons, sans rémission aucune, le condamner au feu. – Non pas, seigneur, dit le barbier, car j'ai aussi ouï dire que c'est le meilleur de tous les livres de cette espèce que l'on ait composés ; par conséquent, comme unique en son genre, il mérite qu'on lui fasse grâce. – Il est vrai, dit le curé, aussi lui laisserons-nous la vie pour l'instant » (Id.).
Amadis est donc sauvé. Par son aspect vénérable ? Par ses mérites de fondateur ou par ses mérites personnels ? Déjà Juan de Valdés, dans son Dialogue de la langue, écrit dans la première moitié du xvie siècle, avait reconnu ses mérites de style et de composition : « Malgré ce que je viens de dire à propos de l'Amadis, je dis aussi qu'il renferme de nombreuses choses de mérite et qu'il est très digne d'être lu de ceux qui veulent apprendre la langue. »
De nos jours encore l'Amadis reste l'un des très rares romans de chevalerie qui puisse être lu sans déplaisir. Qu'est-ce donc que l'Amadis ? Quelle est sa place dans les romans de chevalerie péninsulaires ? Quelle est, enfin, sa valeur propre, ce qui, de nos jours encore, lui permet d'échapper au bûcher ?
Le chevalier Cifar
Les héros du cycle carolingien, Mainet, Berthe, la reine Séville, Fierabras, Renaud de Montauban, furent connus dans la Péninsule, dès avant le xiiie siècle. Après les héros du cycle carolingien, la Péninsule accueillit ceux du cycle breton. Mais il est certain que toute cette littérature romanesque garde, pour reprendre les termes de Menéndez Pelayo, un caractère légèrement exotique. Aucun de ces livres du cycle arthurien ne semble en effet avoir été imprimé de nouveau dans la seconde moitié du xvie siècle. Une production nationale va se substituer à ces romans d'emprunt et bientôt, comme le dit C. Mettra : « Nés en France, ils reviennent alors d'Espagne, parés de couleurs plus brillantes et d'irréalités plus tentatrices. »
C'est dans la première moitié du xive siècle qui paraît L'Histoire du Chevalier de Dieu qui avait pour nom Cifar, lequel pour ses œuvres vertueuses et ses exploits fut roi de Menton. Ce livre connu ordinairement sous le nom de Caballero Cifar est en réalité composé d'éléments hétérogènes : à côté d'aventures chevaleresques qui constituent[...]
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Écrit par
- Madeleine PARDO : maître assistant, agrégée à l'université de Paris-X-Nanterre
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