CASTELLUCCI ROMEO (1960- )
L'expérience des limites
Dans sa vision souvent apocalyptique du monde qui habite ses spectacles, Romeo Castellucci considère le théâtre comme un espace de projection dans lequel le spectateur va introduire sa propre catharsis, parfois de manière éprouvante, et avec le risque de le conduire au refus des formes représentées. Mais si les images et sonorités produites sont fréquemment violentes, et quelquefois difficilement soutenables, elles n'en existent pas moins, pour l'essentiel, de manière cohérente par rapport au propos et à la forme engagés par le metteur en scène. C'est en artiste que Castellucci déroute et dérange. Parmi les créations présentées en France, Voyage au bout de la nuit (1999), sorte de concerto infernal associant des bribes de voix et des cris, des distorsions sonores riches en décibels et des projections vidéo, propose une désarticulation troublante du roman et de l'univers de Céline. Suivront Genesi, from the museum of sleep (1999) inspiré d'une lecture subjective de la Bible, où le meurtre d'Abel par Cain, la découverte du radium par Marie Curie, et les enfants d'Auschwitz sont associés pour un voyage oppressant dans les abîmes du monde, puis Il Combattimento (2000) sur des musiques de Monteverdi et du compositeur contemporain Scott Gibbons.
Malgré une vision pessimiste du monde, Romeo Castellucci ne désespère ni de l'humanité ni du théâtre dont il tente de repousser les limites. C'est pour lui « le seul art qui soit communicable uniquement par le souffle de l'homme. Ce que j'essaie de saisir, c'est ce qu'il y a en lui à la fois d'animal et de religieux ». Entre-temps, la Societas Raffaello Sanzio, a ouvert, à la fin des années 1980, une nouvelle voie en explorant le théâtre pour enfants. Elle crée à Cesena un théâtre-école, qui s'inspire de jeux enfantins libérés de tous codes de représentation pour élaborer des spectacles. Sont ainsi créées, entre autres, Les Fables d'Esope, cheminement à travers sentiers et grottes en compagnie de moutons et d'animaux divers, puis Hänsel et Gretel, d'après le conte des frères Grimm, où un énorme tunnel ouvre sur des espaces propres à stimuler les cinq sens.
De 2002 à 2004, la Societas, engage un vaste projet appelé Tragedia Endogonidia, qui se développe en onze « Épisodes », liés chacun à des villes européennes, notamment Paris, Bruxelles, Berlin, Avignon. L'ensemble constitue une réflexion ouverte et mouvante sur la représentation de la tragédie, dans son rapport avec la cité et le monde d'aujourd'hui. Pour Claudia Castellucci, « ce qui avait toujours été très important pour nous, et qui devenait de plus en plus urgent, était le souci de la représentation : le fait de saisir le sens de sa tendance humaine, mais surtout celui de sa spécificité théâtrale, son usage politique étant évident et magistral ». La Tragedia Endogonida trouve aussi des prolongements dans les Crescite (Croissances), microstructures dramatiques dérivées des personnages ou des tableaux des « Épisodes », réalisés en fonction d'un lieu de présentation, qui n'est pas nécessairement théâtral. À travers ses spectacles accueillis dans les plus grands théâtres et festivals internationaux, la Societas Raffaello Sanzio témoigne d'une esthétique et de formes d'expression uniques sur la scène contemporaine et qui, à défaut d'adhésion unanime, suscitent un incontestable intérêt. Régulièrement invitée au festival d’Avignon, elle y donne Hey Girl (2006), Inferno, PurgatorioetParadiso (2008), d’après Dante, Sul concetto di voltonelfiglio di Dio (2011), The Four Seasons Restaurant (2012) et Schwanengesang D 744 (2013), d’après le cycle de lieder de Schubert. Elle a aussi publié plusieurs ouvrages théoriques sur le théâtre et produit une série de vidéos consacrées[...]
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Écrit par
- Jean CHOLLET : journaliste et critique dramatique
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Médias
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