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TURECK ROSALYN (1914-2003)

Le nom de la pianiste américaine Rosalyn Tureck, qui s'est éteinte à New York, le 17 juillet 2003, à l'âge de quatre-vingt-huit ans, restera avant tout lié à celui de Jean-Sébastien Bach, dont elle fut, selon l'expression du célèbre critique new-yorkais Harold C. Schonberg, la « grande prêtresse ».

Née à Chicago, le 14 décembre 1914, Rosalyn Tureck est issue d'une famille d'origine turque et russe, descendante d'une longue lignée de cantors de la Cour impériale. Enfant prodige, elle a pour professeurs Sophia Brilliant-Liven, ancienne assistante du grand Anton Rubinstein, puis Jan Chiapusso, disciple de Theodor Leschetizky, qui, percevant l'aptitude de sa jeune élève à dénouer les écheveaux polyphoniques de l'œuvre pour clavier de Bach, l'encourage à en approfondir l'étude.

En travaillant une fugue du Clavier bien tempéré, Rosalyn connaît, à quatorze ans, une sorte d'expérience mystique. Après s'être évanouie, elle a à son réveil la révélation de « la façon de jouer Bach, de penser ses structures, de respecter l'autonomie absolue des voix » (selon ses propres dires). Elle passera dès lors son existence à traduire cette conception dans son interprétation, ce qui lui imposera d'élaborer une technique pianistique entièrement nouvelle en termes d'articulation, de toucher, de poids du son et d'indépendance des mains. Celle-ci influencera la démarche d'un pianiste lui aussi attaché à repenser la manière d'aborder l'œuvre de Bach : Glenn Gould.

Cette quête la conduit à expérimenter tous les claviers. Elle s'initie au clavicorde et à l'orgue, apprend le clavecin, qu'elle joue en concert sur un instrument copié sur celui de Wanda Landowska, et s'essaye même au synthétiseur, au grand dam des puristes. Elle fait parallèlement œuvre de musicologue. Parcourant les bibliothèques d'Europe et les lieux où Bach étudia enfant, elle publie en 1960 une Introduction to the Performance of Bach (« Introduction à l'interprétation de Bach ») et fonde en 1967 à New York le Tureck Bach Institute, puis, en 1994 à Oxford, la Tureck Bach Research Foundation.

Elle ne néglige pas pour autant le grand répertoire. Dès sa sortie de la Juilliard School of Music de New York, en 1935, sa carrière prend un essor rapide et l'amène notamment à jouer le Deuxième Concerto de Brahms sous la direction d'Ormandy ou le Cinquième Concerto « L'Empereur » de Beethoven sous celle de Barbirolli. Par ailleurs, elle se passionne pour la musique de son temps et suit les cours d'Arnold Schönberg quand celui-ci, ayant fui l'Allemagne, s'établit en Californie. Elle met aussi son talent et son renom au service des compositeurs américains contemporains : Charles Ives, Aaron Copland, David Diamond – qui lui dédie sa Première Sonate –, Milton Babbitt ou William Schuman, dont elle crée en 1943 le Concerto pour piano. Elle fonde et anime, de 1949 à 1953, la société Composers of Today. Enfin, elle s'intéresse aussi à la musique électronique ainsi qu'à la direction d'orchestre. Elle est la première femme à diriger le Philharmonia de Londres et crée son propre ensemble, le Tureck Bach Players.

Artiste d'une exceptionnelle curiosité d'esprit, aimant à susciter des rencontres avec des scientifiques et des philosophes, Rosalyn Tureck se distingue par une ouverture culturelle, une exigence esthétique et une recherche d'idéal qui la rapprochent d'une autre figure originale de la vie musicale du xxe siècle, la pianiste russe Maria Yudina. Mais cette intellectuelle est aussi une championne du grand piano, pour qui la clarté analytique ne doit jamais occulter toutes les ressources de l'instrument.

Longtemps ignorée en France, Rosalyn Tureck y connaîtra une célébrité tardive grâce à un enregistrement[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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