ROSEMARY'S BABY, film de Roman Polanski
Mater dolorosa
Rosemary's Baby, avec le recul des années, c'est d'abord l'architecture et les passants de Manhattan, la pierre sombre du Dakota Building où furent tournés les extérieurs, et l'omniprésente cacophonie de la circulation. C'est aussi la jeunesse de Mia Farrow et l'énergie de John Cassavetes. Échappée de l'onctueuse série télévisée Peyton Place, la première multiplie les coiffures et les robes à la mode en ouvrant de grands yeux incrédules sur les malheurs de son personnage. Séducteur au sourire carnassier, le second prend un malin plaisir à rendre l'appétit démesuré de Guy pour les luxes promis par l'American Dream – avec quel enthousiasme ne tourne-t-il pas de simples spots de publicité pour des motocyclettes... Quant à la dimension « satanique », après un suspense magistralement entretenu, elle ne culmine pas en « morceau de bravoure final ». Lorsque enfin nous pénétrons chez les adorateurs du diable, c'est pour visiter un appartement rempli de bibelots kitsch, de tableaux de style pompier, et de vieilles dames grotesquement chapeautées qui boivent du thé en sachet. La première porte que pousse Rosemary s'ouvre d'ailleurs sur des toilettes, comme si toutes ces cérémonies, ces herbes magiques et ces psalmodies n'étaient que le « retour du refoulé » d'une société par trop matérialiste. En face, l'Église catholique ne vaut manifestement pas mieux aux yeux de Polanski, qui épingle le « show de star » que donne le pape au Yankee Stadium.
Le contrechamp sur le bébé de Rosemary ne viendra jamais, et sa réaction horrifiée lorsqu'elle l'aperçoit pour la première fois est ponctuée par une musique ricanante qui nous rappelle Le Bal des vampires. L'absence de ce contrechamp rend donc la lecture « réaliste » possible : peut-être ce nouveau-né a-t-il « seulement » subi des mutilations semblables à celles dont parle Victor Hugo dans L'Homme qui rit (1869) ? Loin de toute préoccupation mystique, le film se ferme sur un hymne à l'amour maternel, Rosemary décidant d'aimer quand même son infortuné petit garçon. La caméra retourne alors aux buildings de Manhattan qu'elle décrivait déjà en ouverture, au son d'une berceuse triste et délicate qui souligne la solitude de la mater dolorosa au milieu d'un océan de béton et d'acier.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Laurent JULLIER : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
Autres références
-
GORDON RUTH (1896-1985)
- Écrit par André-Charles COHEN
- 520 mots
Né en 1896 à Quincy (Massachusetts), Ruth Gordon avait commencé sa carrière dans des films muets produits à Fort Lee (Camille, 1915 ; The Whirl of Life, ibid.). Elle la poursuivit à Broadway où, en 1937, elle donne une interprétation peu conventionnelle de Nora, héroïne de Maison de poupée...
-
POLANSKI ROMAN (1933- )
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Joël MAGNY
- 1 925 mots
...incessant, il oblige le spectateur, pour sa plus grande joie, à accepter ce qu'il sait être parfaitement faux. Le finale est de la même nature que celui de Rosemary's Baby : nos maladroits chasseurs de vampires participeront à la probable domination de la Transylvanie par les adeptes du comte von Krolock.... -
SASSOON VIDAL (1928-2012)
- Écrit par Melinda C. SHEPHERD
- 399 mots
- 1 média
Le coiffeur londonien Vidal Sassoon modernisa la silhouette féminine des années 1950 et 1960 avec la coupe bob : ce carré à frange facile à entretenir permettait en effet de partir travailler aussitôt après s'être lavé les cheveux, contrairement aux coiffures crêpées et fixées à la laque, alors...