LOY ROSETTA (1931-2022)
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Rosetta Provera naît le 15 mai 1931 à Rome dans une famille de la bourgeoisie catholique. Elle épouse en 1954 Giuseppe Loy (1928-1981) et adoptera son seul patronyme dans sa carrière littéraire.
Rosetta Loy grandit pendant les années du fascisme. La mémoire de son enfance, de la guerre et les rapports qui lient les vies ordinaires aux événements de l’histoire animent sa recherche littéraire, profondément marquée par la rencontre avec Natalia Ginzburg (1916-1991), écrivaine et figure de proue des éditions Einaudi. En 1974, elle publie La bicicletta(La Bicyclette, 2002), récit de la vie d’une famille de la grande bourgeoisie italienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme l’écrit Natalia Ginzburg dans sa préface, le roman a pour thème l’adolescence, qui constitue pour ses personnages, représentants d’une élite favorisée, une condition existentielle indépassable. À travers eux, l’auteure offre ainsi le récit implacable de « l’inconsistance d’une classe sociale et d’une génération », celle qui est née un peu avant la guerre et qui n’a donc pas pu prendre part aux luttes antifascistes qui l’ont traversée. De cette condition de témoin inactif, Rosetta Loy va faire l’un des leitmotive de son œuvre, interrogeant de différentes manières les raisons qui ont pu retenir les hommes et les femmes de réagir aux tragédies de l’histoire.
Dans La porta dell’acqua(1976 ; La Porte de l’eau, 2001), roman qu’elle republie en 2000 après l’avoir largement remanié, elle aborde pour la première fois la question des liens entre bourgeoisie et catholicisme. Elle renoue avec le roman générationnel en 1982 en publiant L’estate di Letuchè– transcription phonétique de « Le Touquet », abandonnée dans les plus récentes rééditions qui rétablissent l’orthographe du toponyme. Après le recueil de nouvelles All’insaputadellanotte(1984 ; À l’insu de la nuit, 2005), où le portrait de la grande bourgeoisie, à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, est une fois encore brossé de manière impitoyable, Rosetta Loy connaît un grand succès avec Le strade di polvere(1987 ; Les Routes de poussière, 1989) qui remporta de nombreux prix littéraires. Dans cette saga d’une famille piémontaise entre 1790 et 1860, les histoires minimes des protagonistes se mêlent aux évocations de la grande histoire, des guerres napoléoniennes à celles du Risorgimento. Il ne s’agit cependant pas d’un roman historique, ces événements n’étant que le cadre dans lequel se déroule, véritable protagoniste, le rythme répétitif et immuable des saisons de la vie.
À partir des années 1990, Rosetta Loy va témoigner de son engagement à travers des récits qui s’interrogent sur la passivité avec laquelle la population italienne a assisté à la montée de l’antisémitisme. Après Sogni d’inverno (1992 ; Rêves d’hiver, 1994), un livre qui porte une fois de plus un regard désabusé sur les hommes et les femmes nés dans les années 1930, elle publie Cioccolata da Hanselmann(1995 ; Un chocolat chez Hanselmann, 1996), une fiction parsemée d’éléments autobiographiques où l’un des protagonistes, Arturo, est victime des lois raciales promulguées par le régime fasciste en 1938. À Rome, une femme appartenant à la bourgeoisie catholique l’aide à organiser sa fuite pendant que la fille de celle-ci observe ce qui se passe, sans comprendre. C’est précisément la mémoire de l’acceptation de l’inacceptable de la part des catholiques que Rosetta Loy interroge dans ce livre. Une réflexion qu’elle poursuit dans La parolaebreo(1997 ; Madame dellaSeta aussi est juive, 1998). Un brillant essai où, mêlant souvenirs personnels et recherches historiques et documentaires, elle met en lumière les responsabilités de l’Église catholique face à la Shoah et celles de tous ceux qui, sans adhérer au fascisme, n’ont rien fait pour empêcher l’ostracisation puis l’anéantissement de milliers de juifs.
À partir des années 2000, assumant un ton plus intimiste et parfois explicitement autobiographique, Rosetta Loy poursuit sa recherche historique et mémorielle en creusant davantage la période qui précède et qui suit la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas du bref récit Ahi, Paloma (2000 ; Ay, Paloma, 2009), puis de Nero è l’albero dei ricordi, azzurra l’aria (2004 ; Noir est l'arbre des souvenirs, bleu l'air, 2005). Le souvenir de l’enfance et de l’adolescence de l’auteure constitue la trame de La Première Main, publié en traduction française en 2008 et ensuite seulement en Italie (La prima mano, 2009), tandis que dans Forse (Einaudi, 2016) elle nous livre le premier tome d’une véritable autobiographie.
Dans les dernières années de sa vie, Rosetta Loy a varié sa recherche littéraire et porté son regard sur d’autres moments clés de l’histoire récente. Dans Glianni fra cane e lupo. 1969-1994. Il raccontodell'Italiaferita a morte (2013; L’Italie entre chien et loup. Un pays blessé à mort 1969-1994, 2015), elle offre au lecteur une reconstruction remarquablement précise des « années de plomb » et, dans Cuoriinfranti (2010 ; Cœurs brisés, 2010), elle se penche sur deux faits divers sanglants qui ont défrayé la chronique en Italie au début des années 2000. Cesare (2018), son dernier livre, brosse le portrait du grand critique littéraire Cesare Garboli (1928-2004) – son ami et amant qui l’a accompagnée tout au long de sa vie d’écrivaine – entremêlant confidences intimes et analyses de l’œuvre. Francophile et francophone, elle a traduit en italien Dominique, d’Eugène Fromentin, et La Princesse de Clèves, de Madame de la Fayette.
Rosetta Loy meurt le 1er octobre 2022 à Rome.
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Écrit par
- Davide LUGLIO : professeur de littérature italienne contemporaine à l'université Sorbonne nouvelle, Paris
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Autres références
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SHOAH LITTÉRATURE DE LA
- Écrit par Rachel ERTEL
- 12 476 mots
- 15 médias
...(1997). La culpabilité n'est pas seulement celle des rescapés, elle est ici celle des contemporains de l'extermination que l'Histoire a épargnés. Ainsi de Rosetta Loy qui découvre, enfant, que Madame della Seta aussi est juive (1997), ou de ceux qui, nés après, se voient obligés comme Eraldo Affinati d'explorer...
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