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MAMOULIAN ROUBEN (1898-1987)

Né en 1898 à Tiflis (Géorgie), Rouben Mamoulian vient faire des études secondaires en France. Il se destine très tôt au théâtre, et se situe dans le sillage de Stanislavski. On le trouve à Londres dans les années 1920, où il dirige une troupe de comédiens russes émigrés. Lorsqu'il débarque à Rochester en 1923, à l'invitation de l'entrepreneur de spectacles George Eastman, il est déjà un créateur au style affirmé, connu pour son sens du rythme et de la virtuosité.

Il le confirme en montant Carmen, Pelléas et Mélisande et, un peu plus tard, au Theater Guild de New York, Porgy, une pièce entièrement jouée par des Noirs, qui passionnera George Gershwin. Son souci est alors – dit-il – « une intégration totale de la musique, de la danse et de l'action dramatique », ce qui lui vaut l'admiration de Max Reinhardt et de Maurice Ravel. Tout naturellement, Mamoulian se retrouve à Hollywood, où l'application de ces principes fera merveille.

Dès son premier film, Applause (1929), il démontre que le cinéma parlant – qui vient à peine de naître – peut être un art autonome, ne devant rien aux conventions du « muet », ni à une théâtralisation maladroite, mais susceptible au contraire de combiner les pouvoirs de l'image avec ceux du son, du dialogue et de la musique. Applause fut, de ce point de vue, une révélation : la caméra y est d'une agilité étourdissante, les conversations se chevauchent comme dans la vie, le découpage est d'une parfaite fluidité, la drôlerie côtoie le tragique. Des films comme Citizen Kane ou Une étoile est née se ressentiront à coup sûr de son influence.

Mamoulian est aussi un maître dans l'art de l'ellipse : son film suivant, City Streets (Les Carrefours de la ville, 1931), est un thriller d'un dépouillement extrême, « où la brutalité n'est jamais exploitée, où le meurtre est suggéré par l'extinction d'une allumette » (Robert Benayoun). En 1932, dans son adaptation – qui reste la version de référence – de Dr. Jekyll et Mr. Hyde de Stevenson, il va plus loin encore, glissant des effets de suggestion morbide ou érotique, jouant de la caméra subjective, et allant jusqu'à enregistrer les battements de son cœur, comme Jean Cocteau l'avait fait dans Le Sang d'un poète (1931).

Mamoulian apporte la preuve décisive de son génie de la mise en scène dans Love me Tonight (1932), une comédie musicale au tempo échevelé, dont l'ouverture est à elle seule un morceau d'anthologie, qui nous fait assister au réveil de Paris, dans une symphonie réaliste de bruits et de chantonnements, rythmée par la démarche chaloupée de Maurice Chevalier.

Le cinéaste se voit confier peu après la tâche délicate de diriger Greta Garbo, alors au faîte de sa gloire : il s'en tire par une sorte de déification de son modèle, devenu entre ses mains une fascinante figure de proue (La Reine Christine, 1933). Puis Mamoulian se lance dans le film en couleurs, qu'il conçoit dans une optique délibérément irréaliste, où l'émotion est sollicitée par de subtils dosages plastiques : ce sera Becky Sharp (1935), premier long-métrage en Technicolor trichrome, dont on ne perçut pas assez l'originalité. Considérant sans doute le champ d'expérimentation du cinéma comme limité, ou peu gratifiant, Mamoulian poursuit parallèlement une carrière théâtrale, consacrant tous ses soins à des comédies musicales telles que Porgy and Bess, Oklahoma, Carousel (d'après Liliom de Molnar), Lost in the Stars (avec une musique de Kurt Weill), etc. Il donne ainsi ses lettres de noblesse à un art tenu pour mineur, laissant à d'autres, là encore, le bénéfice de ses trouvailles. Le cinéma ne le motive plus que de façon intermittente : il tourne deux films d'aventures avec Tyrone Power, Le Signe de Zorro (1940) et[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Paris-I, historien du cinéma

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  • FANTASTIQUE

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    • 17 médias
    ...programme de films fantastiques, présentant un catalogue très complet de monstres, de médecins psychopathes et d'aliénés divers. En 1932, pour la Paramount, Rouben Mamoulian porte à l'écran le roman de R. L. Stevenson, Docteur Jekyll et M. Hyde, dont c'est la première – et sans doute la meilleure...