ROUXIELLA CHAMBERIENSIS
En décembre 2013, trois nourrissons grands prématurés décédaient à l’hôpital de Chambéry. Un quatrième, également infecté, devait survivre. Très rapidement, les enquêteurs s’orientent vers une contamination des poches de nourriture parentérale utilisées pour alimenter ces nourrissons. La cellule d’intervention d’urgence de l’Institut Pasteur y retrouve une bactérie inconnue, présente en grande quantité. Sa description complète vient d’être publiée (Le Flèche-Matéos et al.). Cette bactérie, appelée Rouxiellachamberiensis (du nom du docteur Roux suivi du lieu de sa découverte) est très probablement responsable des décès, même si la preuve formelle n’est pas encore apportée. Quoi qu’il en soit, elle possède des particularités remarquables et attire l’attention sur des micro-organismes – pathogènes ou non – capables de se multiplier à très basse température, les micro-organismes psychrophiles.
Par sa morphologie et les caractéristiques de son métabolisme, Rouxiellachamberiensisappartient à la famille des entérobactéries, un regroupement très hétérogène de bactéries comprenant les colibacilles, l’agent de la peste et des bactéries apparentées telles que les salmonelles. Certaines d’entre elles sont pathogènes, et responsables de troubles intestinaux, de la peste, de la typhoïde, de paratyphoïdes, etc. Elles peuvent agir par le biais de toxines, par prolifération ou encore grâce aux lésions des cellules de l’hôte. Au regard du tableau clinique présenté par les petits malades (un choc septique brutal) et du génome bactérien, Rouxiellachamberiensis agit presque certainement par l’intermédiaire d’une endotoxine.
Bien qu’inconnue jusqu’à cet accident, Rouxiellachamberiensis est proche d’un petit nombre de bactéries connues. L’étude phylogénétique de son ADN l’associe de manière relativement forte à deux espèces de Yersinia, l’une responsable de la peste, l’autre de troubles intestinaux. Elle l’associe également à une bactérie du sol, de l’eau et d’animaux aquatiques, Rahnellaaquatilis, pathogène chez l’homme, chez qui elle provoque un choc septique, et enfin à une bactérie pathogène du champignon, Ewingella americana, occasionnellement pathogène chez l’homme. Une des propriétés remarquables de cette dernière bactérie est d’être psychrophile, c’est-à-dire de se multiplier à basse température, une propriété partagée avec Rouxiellachamberiensis. En effet, cette dernière ne prolifère pas du tout à la température du corps humain, mais se multiplie au contraire dans un milieu plus froid, par exemple à 4 0C, température à laquelle les poches d’alimentation parentérale sont conservées. Parentés entre bactéries et type de métabolisme particulier suggèrent fortement que Rouxiellachamberiensis est une bactérie de l’environnement, du sol et des eaux peut-être, sans que l’on comprenne comment elle a pu parvenir dans une préparation médicale en principe stérile.
La découverte de cette nouvelle bactérie pathogène appelle deux commentaires principaux. D’une part, la multiplication à basse température est connue pour des bactéries banales pathogènes, souvent issues de contaminations par le sol ou d’aliments pour bétail et que l’on retrouve dans l’alimentation humaine, certains fromages et la charcuterie en particulier. Le cas le plus connu est celui de Listeria monocytogenes, l’agent de la listériose, maladie grave pour le fœtus et chez les sujets immunodéprimés ; la dernière épidémie de listériose a eu lieu en 2014 au Danemark et a provoqué le décès de quinze personnes. De nombreux autres exemples existent de micro-organismes se multipliant à basse température, bactéries et champignons. Ce constat, qui ne remet pas en question le fait que la nourriture est bien mieux préservée dans un réfrigérateur qu’à la température ordinaire, rappelle toutefois que ce mode[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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