LICHTENSTEIN ROY (1923-1997)
Né en 1923 à New York, Roy Lichtenstein a été considéré, du début des années 1960 à sa mort, survenue le 29 septembre 1997 dans la même ville, comme l'un des chefs de file du pop art. Mieux qu'aucun autre, il en incarna la version américaine, dépourvue de l'ambiguïté qui s'associa dès l'origine aux réalisations des représentants européens de cette tendance. À ses débuts, Lichtenstein pratique un expressionnisme abstrait tempéré, mâtiné de déformations morphologiques empruntées à Picasso. Très vite, il adapte ce style à une iconographie typiquement américaine, de même que chacune des générations précédentes avait proposé une « américanisation » du modernisme européen (George L. K. Morris forgeant, par exemple, un « cubisme indien » dans les années 1930). À partir de 1951, il reprend les grands mythes fondateurs de l'histoire nord-américaine, donnant plusieurs versions du Washington traversant le Delaware d'Emmanuel Leutze. Il emprunte surtout ses images à la conquête de l'Ouest : cow-boys et Amérindiens emplumés (Chef-d'Œuvre dans un canoë, 1955, coll. part.). Vers 1957-1959, cette iconographie laisse place à des abstractions. Les grands gestes colorés qu'il peint alors témoignent d'une défiance à l'égard de l'expressivité qui trouvera des échos distanciés et parodiques dans la série des Brushstrokes (« coups-de-pinceau ») de 1965-1966.
C'est en 1961 qu'apparaissent dans ses tableaux les premières images tirées de bandes dessinées et de publicités (Look Mickey, coll. part.). Il découvre, l'année suivante qu'il partage ces thèmes avec Warhol, formant ainsi une tendance rapidement baptisée pop art. Il se concentrera donc sur des images tirées des comics publiés en dernière page des quotidiens, où le texte joue un rôle important (Hopeless, 1963, musée Ludwig, Cologne). Jusqu'en 1965, cette iconographie s'accompagne de la représentation d'objets de consommation courante isolés sur un fond neutre (Curtains, 1962, The Saint Louis Art Museum). La facture en imite les procédés grossiers de reproduction, caractéristiques de la presse ou des annuaires téléphoniques. La surface des toiles, où le dessin s'inscrit sous la forme d'un cerne épais, se partage entre zones constituées de petits points serrés et de parties en aplats monochromes.
La mécanisation de la réalisation devient progressivement plus systématique, pour atteindre, vers le milieu de la décennie, un aspect impersonnel et perfectionné. Les points, agrandis, sont désormais appliqués au pochoir, comme une trame colorée sur un dessin préexistant. Cette technique permet d'attirer l'attention sur les moyens plastiques, qui restent toujours très visibles, en même temps qu'elle augmente paradoxalement l'efficacité visuelle de l'iconographie. En énumérant la succession d'objets représentés – de la publicité à l'histoire de l'art moderniste, dont sont reprises très tôt quelques-unes des images les plus connues (Man with Folded Arms, 1962, adaptation d'un schéma dessiné à partir d'une toile de Cézanne, musée d'Art contemporain, Los Angeles) –, on pourrait établir, à partir de 1965, un déroulement chronologique de l'œuvre, au style immédiatement reconnaissable, tel une marque commerciale.
On pourrait affirmer que, une fois terminée l'énumération visuelle des images caractéristiques de la société américaine des années 1960, une fois la transposition effectuée à d'autres techniques (estampes et sculptures), l'œuvre procède par croisement et juxtaposition de toutes ces imageries, d'abord sur un plan strictement iconographique, comme dans Artist's Studio, Look Mickey de 1973 (Walker Art Center, Minneapolis), puis d'une manière plus complexe (séries des [...]
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Écrit par
- Éric de CHASSEY : professeur d'histoire de l'art, École normale supérieure de Lyon, directeur de l'Institut national d'histoire de l'art, Paris
Classification
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