ROYAL DE LUXE, compagnie théâtrale
Faire théâtre de tout. C'était le mot d'ordre d'Antoine Vitez. Ce pourrait être celui de Royal de Luxe. Sauf que ce théâtre ne se joue pas dans des salles mais, pour paraphraser cette fois Shakespeare, prend pour scène le monde, au sens littéral du terme. En effet, à l'espace clos traditionnel, la troupe dirigée par Jean-Luc Courcoult préfère les rues et les places publiques. Son mode d'action ? Les défilés, les parades, la transformation en aire de spectacle des carrefours, des parvis – tel celui du palais des Papes, à Avignon. Ses armes ? Des moteurs et des ferrailles assemblés en tonitruantes machineries ou, tout bonnement, des bus, des voitures et autres objets de consommation courante. Car Royal de Luxe vise d'abord à la transfiguration du banal.
En près de vingt ans d'existence, la compagnie, née à Aix-en-Provence en 1979 et installée depuis 1989 à Nantes, s'est imposée partout dans le monde, au point de faire figure de troupe emblématique du théâtre de rue. Véritable institution, elle a été à plusieurs reprises missionnée par l'antenne culturelle du ministère des Affaires étrangères, l'A.F.A.A. (Agence française d'action artistique) pour représenter la jeune création française en dehors de l'Hexagone. On l'a vue en Suisse, en Allemagne, en Afrique du Sud, au Cameroun. On l'a vue en Espagne, aux Pays-Bas, en Amérique latine, lors du fameux voyage du Cargo armé tout exprès par la troupe en 1992, emportant avec lui une rue de Nantes reconstituée dans la cale et des invités tels que la Mano Negra, Philippe Genty et Philippe Découflé...
Le fait que ses créations reposent moins sur le pouvoir de la langue que sur celui des images explique en partie le succès de Royal de Luxe. Mais pour mieux le comprendre, il faut en revenir à son histoire héritée de Mai-68, du refus des traditions aboutissant à une autre conception de la création. À l'heure où surgissent des « villes nouvelles » du côté de Saint-Quentin-en-Yvelines ou Marne-la-Vallée, s'élabore une réflexion originale sur l'espace urbain et sa reconquête menée, entre autres, par Michel Crespin, aujourd'hui directeur du Centre national de création des arts de la rue à Marseille – Lieux publics. Comme toute une génération de « cogne-trottoirs » et de saltimbanques qui vont donner naissance à Délices Dada ou Ilotopie, Royal de Luxe participe à ce mouvement. Des règles originales en sont nées, fondées sur le principe de la pleine et entière liberté. Liberté, pour le créateur, de confronter son art à la démesure de la ville, de bouleverser le quotidien, de changer le regard que portent les gens sur leur vie, leur histoire, leur quartier ou leur ville à travers des « événements » qui conjuguent le réel et l'imaginaire – façonnant de toutes pièces un « imaginaire réaliste ». Liberté aussi, pour le spectateur, de se laisser surprendre au fil de propositions aussi insolites qu'éphémères comme « le parking de chaussures » en 1982, ou « l'incroyable histoire d'amour entre un cheval et une péniche », en 1985, qui s'achève par la naissance d'un bébé-péniche sur le canal du Midi, le cheval étant monté par un scaphandrier. Ou encore comme « l'autobus à la broche », spectacle présenté à Toulouse en 1986, ou La Véritable Histoire de France, spectacle créé au festival d'Avignon pour le bicentenaire de la Révolution française, et suivi, deux ans plus tard, de Peplum, autre vision de l'histoire (romaine cette fois) dans la plus pure tradition revisitée d'Hollywood...
À chaque fois, le public vient et part quand il veut. Le spectacle est gratuit – ou, plus exactement, il est acheté par les institutions, les festivals, les municipalités. Souvent, même, il s'agit d'une commande comme celle qui a donné naissance, en[...]
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
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