BULTMANN RUDOLF (1884-1976)
La vie et la carrière du grand exégète et théologien protestant que fut Rudolf Bultmann tiennent en quelques lignes. Il commença ses études au lycée d'Oldenburg et les poursuivit dans les universités de Tübingen, de Berlin et de Marburg. Privatdozent en 1912 à Marburg, il devint ensuite professeur extraordinaire à Breslau (1916-1920), puis professeur ordinaire à Giessen (1920-1921) et à Marburg (1921-1951), où il est mort. Le chrétien convaincu qu'il était avait pris position contre le nazisme dès 1933. L'originalité de Bultmann réside dans une harmonie qui lui est tout à fait propre du triple projet de l'historien, du philosophe et du théologien.
L'historien et le théologien
Il faut distinguer en Bultmann l'historien et le théologien. Bultmann est sans doute l'exégète moderne le plus éminent du Nouveau Testament ; il est en tout cas le plus radical. Son originalité n'est pas d'avoir formulé la règle d'or de tous les historiens : « l'absence de tout préjugé quant aux résultats de la recherche », mais de l'avoir appliquée, avec une honnêteté que Karl Jaspers a pu qualifier d'absolue, à l'élucidation du problème des sources orales et écrites à partir desquelles les Évangiles ont été composés. Les livres du Nouveau Testament sont en effet formés de couches successives. Ainsi on rencontre principalement, dans l'ordre : Jésus, le christianisme judéo-chrétien, le christianisme hellénistique antérieur et extérieur à Paul, le paulinisme, le johannisme et le passage à l'Église du iie siècle. Il s'agit, pour l'historien, de remonter du plus récent au plus ancien. Cet immense labeur scientifique débouche sur un résultat essentiel : tout l'élément miraculeux du Nouveau Testament est tardif et légendaire. Mais, si l'on ampute ainsi les Évangiles et les Épîtres de ce qui semble en être le noyau, que reste-t-il du christianisme ? C'est tout le problème de la démythologisation.
Pour le théologien Bultmann, il importe de s'entendre sur le sens du miracle. L'athéisme nie le miracle pour la raison très simple qu'il n'y a pas de Dieu. Bultmann, lui, non seulement croit en Dieu, mais professe que Jésus de Nazareth est l'unique révélation de Dieu. Seulement cette incarnation de Dieu est si réelle qu'elle ne se manifeste pas par des miracles. Elle est totalement invisible pour qui n'a pas la foi : Jésus est le pur incognito de Dieu. La foi ne peut ni ne doit s'appuyer sur des « béquilles », en l'occurrence les signes miraculeux. Et, de fait, le Jésus historique n'a jamais opéré de miracles à cette fin. Presque tous ceux qu'on lui attribue sont légendaires. Il a certes accompli des guérisons et des exorcismes. Mais de nombreux rabbis en avaient fait autant avant lui et en firent autant après lui. Ce qui caractérise Jésus, c'est – d'après les paroles authentiques qui nous restent de lui et aussi d'après celles qui, tout en n'étant pas de lui, ne trahissent pas sa pensée – le fait qu'il s'est présenté à ses contemporains comme la dernière et décisive Parole de Dieu : celui qui croit en lui possède la vie éternelle, celui qui ne croit pas en lui est à jamais perdu. Jésus ne fait pas qu'annoncer la fin du monde (le monde des valeurs humaines même les plus hautes telles que la morale et la religion), il est cette fin. Le monde et les humanismes pourront durer encore des millénaires : ils sont déjà « finis » pour le croyant. Entre ce que les hommes appellent vie et ce qu'ils appellent mort, il n'y a aucune différence sub specie Dei. La vie humaine la plus noble n'est que mort comparée à la vie divine. Seul le Christ est, selon l'expression lapidaire des Évangiles, la « Vie ». Jésus a donc prêché une radicale « démondanisation[...]
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Écrit par
- André MALET : professeur à l'université de Dijon
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