CARNAP RUDOLF (1891-1970)
Né en Allemagne, à Wuppertal, Rudolf Carnap appartient à la fois à la philosophie germanique et à la philosophie anglo-saxone, le nazisme l'ayant amené, en 1935, à partir pour les États-Unis. Il fut, avec M. Schlick et Otto Neurath, un des chefs de file du Cercle de Vienne. Après la dispersion de celui-ci, il libéralisa progressivement ses thèses initiales. Il a traité des problèmes principaux de l'épistémologie de la mathématique et des sciences exactes. Dans son célèbre livre intitulé Der logische Aufbau der Welt (La Construction logique du monde), il a tenté d'exécuter le programme du phénoménalisme : reconstruire le monde à partir d'une seule relation donnée dans l'expérience immédiate. Son intérêt pour le langage des sciences et la philosophie a fait de lui l'un des initiateurs du « tournant linguistique » en philosophie.
La construction logique du monde et les travaux issus du Cercle
Après ses études de mathématique, de physique et de philosophie à Fribourg et à Iéna – il fut l'un des très rares auditeurs de Frege –, Carnap obtint le titre de docteur avec une thèse intitulée L'Espace : une contribution à la théorie de la science (1921). Sur l'initiative de H. Hahn et M. Schlick, il devint, en 1926, Privatdozent à l'université de Vienne et participa aux discussions du Cercle de Vienne. Le Cercle se fit connaître en 1929 avec un Manifeste qui, signé par Carnap, Hahn et Neurath (Feigl y participa aussi), développait les grandes thèses du mouvement de la « conception scientifique du monde ». Mais, déjà un an plus tôt, Carnap avait publié Der logische Aufbau der Welt.
Par cet ouvrage très ambitieux, Carnap, bien qu'il se situe dans le prolongement de Mach et de Russell, ne veut pas simplement ajouter de nouveaux arguments au projet d'une réduction phénoménaliste, mais « entreprendre pour la première fois la construction effective d'un système conceptuel de cette espèce ». Il entend donc réduire les concepts de tous les domaines à un nombre minimal d'éléments de base. Il distingue quatre grandes sphères de la connaissance : les objets socio-culturels (geistige Gegenstände), les objets hétéropsychiques (les autres moi), les objets physiques et les objets autopsychiques (objets de l'expérience privée). Cette construction est une réduction qui doit aboutir à un système constitutif, c'est-à-dire à un arbre généalogique des concepts, reliés par des chaînes de définitions aux éléments de base ; de cette manière, les concepts de toutes les sciences seront rattachés au même domaine fondamental et l'unité de la science sera réalisée. La méthode de Carnap suppose la logique symbolique moderne, qui, avec sa théorie des relations, est seule capable de fournir les instruments pour des descriptions structurelles.
Pour des raisons épistémologiques, Carnap choisit une base autopsychique comme point de départ de sa construction : les éléments de base sont mes vécus élémentaires (Elementarerlebnisse). En réalité, un seul concept primitif suffit pour reconstruire la totalité du monde : ce sera celui du souvenir de ressemblance (Ähnlichkeitserinnerung). Ce choix relève de la méthode, non de l'ontologie ; un autre choix, en effet, est possible ; on peut choisir, par exemple, la base physicaliste, qui prendrait comme éléments primitifs les objets physiques. Progressivement, Carnap construit les concepts de classe de qualités, de classes de données sensorielles (Sinnesklassen), d'ordre temporel, de positions dans le champ visuel, de couleurs voisines ; et il esquisse la construction des objets des trois autres sphères (en particulier, le monde spatio-temporel, les objets visuels, mon corps, le monde de la perception, le monde physique, le monde intersubjectif ou le monde de la science). Même si, comme l'ont montré N. Goodman et W. V. O.[...]
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Écrit par
- Jan SEBESTIK : docteur ès lettres, chargé de recherche au C.N.R.S.
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