CARNAP RUDOLF (1891-1970)
La philosophie comme syntaxe et comme sémantique
Durant sa période praguoise (1931-1935) et dans le prolongement de l'étude du langage de la métaphysique, Carnap avait entrepris un grand travail sur La Syntaxe logique du langage (1934), dans lequel il systématise les méthodes formelles utilisées dans la recherche des fondements en mathématique (Hilbert, Brouwer, l'école polonaise) et où il formule son principe de tolérance de la syntaxe : « En logique, il n'y a pas de morale ; chacun peut construire sa forme de langage comme il l'entend. » Carnap construit essentiellement deux langues : la langue I est censée répondre aux exigences des intuitionnistes et des constructivistes ; la langue II permet d'exprimer la mathématique classique et même la physique. Il distingue la langue-objet de la métalangue, montre qu'une langue se construit à l'aide de règles de formation et de règles de transformation, qui forment sa syntaxe, définit un certain nombre de concepts fondamentaux (par exemple « dérivable », « démonstration », « réfutable ») et donne des règles pour la conséquence entendue comme une relation syntaxique.
Dans le même ouvrage, il introduit sa célèbre distinction entre le mode matériel et le mode formel du discours. La science comporte deux classes d'énoncés : les énoncés d'objet (par exemple « cinq est un nombre premier ») et les énoncés syntaxiques (en mode formel, « cinq n'est pas un terme d'objet, mais un terme numérique »). Or, il existe une classe intermédiaire, les énoncés quasi syntaxiques en mode matériel ; ce sont les énoncés syntaxiques déguisés en énoncés d'objet (par exemple, « cinq n'est pas une chose, mais un nombre »). L'usage matériel du discours n'est pas condamnable lorsqu'un tel énoncé peut être traduit en mode formel. Ainsi, la deuxième assertion du Tractatus de Wittgenstein, « Le monde est la totalité des faits, non des choses », deviendra : « La science est un système d'énoncés, non de noms. » L'usage matériel est cependant dangereux, car les confusions philosophiques résultent précisément de l'emploi matériel, qui n'est pas traduisible en mode formel.
La parution, un an après La Syntaxe logique du langage, des travaux d'Alfred Tarski sur la sémantique obligea Carnap à élargir le point de vue syntaxique et à tenir compte des concepts de signification, de dénotation et de vérité. Ses trois volumes de Studies in Semantics présentent la théorie des concepts logico-sémantiques (« L-concepts ») et des concepts syntaxiques (« C-concepts »). Sans s'en rendre compte, Carnap y retrouve, en les exposant dans une langue symbolique, la plupart des résultats de la logique de Bolzano. Dans le troisième volume des Studies, Meaning and Necessity (1947), il aborde l'étude de la logique non extensionnelle, plus particulièrement la théorie de la signification (meaning) d'une expression, qui est analysée en deux composantes : l'extension et l'intension ; dans le dernier chapitre, il traite de la logique modale.
Dans sa dernière période, Carnap se tourne vers la logique inductive et les probabilités. Dans Logical Foundations of Probability (1950), il développe la logique inductive dans le prolongement de la logique déductive, suivant une ligne analogue à celle de Bolzano : les énoncés de probabilité sont analytiques et rattachés à la déductibilité (« L-implication »). La probabilité ou « degré de confirmation » d'une hypothèse h relativement à un énoncé e est définie comme m (e . h)/m (e), où m(p) est une mesure sur les énoncés. Cette notion analytique de probabilité ne se confond pas avec celle de fréquence relative, qui est un concept statistique, une relation entre les classes d'événements.
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Écrit par
- Jan SEBESTIK : docteur ès lettres, chargé de recherche au C.N.R.S.
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