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OTTO RUDOLF (1869-1937)

Théologien et philosophe allemand, né à Peine (Hanovre) et élevé dans la foi luthérienne, Rudolf Otto fit ses études à Erlangen et à Göttingen, attiré par la pensée d'Albrecht Ritschl et celle de Friedrich Schleiermacher. Nommé en 1907 professeur de théologie à Göttingen, il s'intéressa de plus en plus à l'histoire et à la psychologie de la religion (Religionswissenschaft) et devint un des principaux continuateurs de la pensée de Jakob Friedrich Fries, puisant à cette source post-kantienne des orientations pour sa propre philosophie de la religion, ainsi qu'en témoigne son ouvrage de 1909 intitulé Kantisch-Friessche Religionsphilosophie. Il enseigna ensuite la théologie systématique à Breslau (1914-1917), puis à l'université de Marburg jusqu'à sa mort.

En 1911 et 1912, un voyage en Afrique puis en Inde et au Japon l'avait amené à rencontrer des formes primitives du sacré et les grandes mystiques orientales, dont il tenta une comparaison avec les spiritualités occidentales dans des études publiées plus tardivement : Westöstliche Mystik en 1926 (Mystique d'Orient et mystique d'Occident, Paris, 1951) et Die Gnadenreligion Indiens und das Christentum en 1930.

Mais l'ouvrage qui donna à Otto la plus grande célébrité en matière de philosophie de la religion fut Das Heilige (Le Sacré), qui parut en 1917 et qui eut depuis lors plusieurs dizaines de réimpressions et de rééditions. Soucieux de fonder une approche scientifique du phénomène religieux et de définir clairement la nature et la vérité de celui-ci, Rudolf Otto tente, dans cette œuvre vigoureuse et originale, de dépasser la problématique dans laquelle s'était engagé Kant par sa distinction entre les phénomènes ou manifestations et la chose en soi. Il ne définit plus le sacré comme un absolu éthique, mais comme une catégorie spécifique qui se manifeste au-delà de la sphère de l'éthique et du rationnel. À la différence de Schleiermacher, dont il s'inspire cependant, il le considère comme étant d'une certaine façon séparé et propose le concept de « numineux », qui comporte un double aspect : ce numineux est mysterium tremendum, mystère du Tout-Autre qui effraye l'homme dans ses profondeurs, et mysterium fascinosum, mystère qui attire l'homme par une sorte de fascination. Les deux aspects sont inséparables : toujours, devant le sacré, l'homme est à la fois attiré et repoussé d'une manière incompréhensible. Le numineux vit et se manifeste dans toutes les religions depuis l'animisme jusqu'au christianisme. Il en est l'« intériorité spécifique », l'essence. C'est lui qui détermine la foi : expérience d'un effacement, d'un engloutissement dans son propre néant en face du Tout-Autre, lequel domine de façon abrupte la créature.

La découverte du numineux comme catégorie spécifique s'avère féconde, non seulement pour l'histoire des religions mais aussi pour une meilleure compréhension de la Bible et du christianisme. Elle permet de retrouver en Dieu un « feu dévorant », au lieu de ce père indulgent et bonasse que la théologie libérale avait fait de lui. Elle aide aussi à mieux comprendre les expériences mystiques de personnages tels que saint Paul et Luther et à regarder le péché non plus comme une simple transgression morale, mais comme étant, dans son essence, une atteinte religieuse au sacré — cette atteinte, à moins que le Tout-Autre n'en instaure lui-même la réparation et la restauration, ne pouvant mener qu'à la mort. Ainsi « la religion n'emprunte rien à la finalité, ni à l'éthique. Elle ne vit pas non plus de postulats. L'irrationnel qui vit en elle a ses racines propres et spécifiques dans les profondeurs cachées de l'esprit. » Cette vision de la foi comme phénomène sui generis devait[...]

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  • MAGIE

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