RUINES, esthétique
Les « vedutisti », peintres de ruines
Des ruines de Rome figurent dans le fond des scènes de genre peintes par Pieter van Laer, dit le Bamboccio à cause de son physique disgracieux, et par ses disciples appelés Bamboccianti d'après le sobriquet de leur maître (par exemple dans la Mascarade de comédiens à Rome de Jan Miel, au Prado). Mais les ruines formèrent surtout un ingrédient de la peinture de paysage, laquelle pendant un siècle, de Paul Bril à Jan Frans van Bloemen, inonda l'Italie et l'Europe de paysages italiens typiques, dont on peut lire la recette dans le Groot Schilderbook (Grand Livre des peintres) de Gérard de Lairesse, qui explique l'art de placer dans un tableau des tombeaux anciens, des cénotaphes, des cippes : « Toutes ces choses distribuées avec intelligence et art ne peuvent manquer de produire un bon effet dans un site ouvert, pourvu qu'on ne les multiplie pas inutilement, et qu'on ne répète pas trop souvent la même chose. » Or c'est justement cela que font les peintres de paysages romains avec des ruines : ils groupent plusieurs monuments dans la même scène selon une sélection éclectique et répètent à satiété certains d'entre eux. Quelques-uns de ces vedutisti sont remarquables par la précision des détails, comme Lievin Cruyl, précurseur de Gaspard Van Wittel ; d'autres ne respectent aucunement la topographie, comme Willem van Nieulandt dans le Marché parmi les ruines du Campo vaccino ; d'autres encore, comme Tobias Veraecht, arrivent à donner un pot-pourri de motifs italiens, dans le genre des « caprices » des compositeurs modernes (Tchaïkovski, Charpentier, Stravinski ou Casella). Dans le Cortège burlesque de Veraecht, par exemple, on voit un cortège de carnaval, une sérénade, une agression, contre un arrière-plan où l'on reconnaît la façade du palais Farnèse, les colonnes du temple de Castor et Pollux, une fontaine semblable à celle de la place Navone, œuvre de Bernin, une basilique semblable à Santa Maria in Trastevere, la coupole de Saint-Pierre et les colonnes Trajane et Antonine. Paul Bril, qui a le mérite d'avoir influencé, à travers Agostino Tassi, Claude Lorrain, fournit un répertoire de motifs aux peintres qui ne se rendirent pas en Italie ; car souvent les artistes avaient recours aux gravures, comme Antoine Goubau, quand ils ne composaient pas de fantaisie ; une Italie de convention fait le fond des natures mortes de Karl van Vogelaar : chapiteaux renversés, bases de colonnes, vasques antiques, grands bouquets de fleurs placés dans des vases dont la panse représente des scènes galantes de la mythologie. Même les peintres animaliers, comme Jan Fyt, Pieter Boel, Jan van den Hecke représentent des animaux arrêtés près d'un autel antique en ruine ou s'abreuvant à une fontaine dont la vasque est un sarcophage antique à décor sculpté.
Un aspect particulier du goût des ruines est offert par les tableaux de Monsù Desiderio, le Lorrain François Nomé, né en 1593 et actif à Naples jusqu'aux environs de 1647. Ce sont des scènes de catastrophes et des tremblements de terre dans lesquels on aurait tort de voir du surréalisme avant la lettre, puisqu'il s'agit, selon la critique la plus avertie, de thèmes courants dans la mise en scène des pièces de théâtre et des ballets de l'époque. Quoi qu'il en soit, certains thèmes, même à peine esquissés pour un jeu d'esprit ou un effet de théâtre (ce qui revient à la même chose), comme certains motifs de sensualité morbide et certains cataclysmes de la nature représentés au théâtre, s'approfondissent avec le temps. Les grottes décorées de coquillages (celle du poète Alexander Pope à Twickenham fut une des premières), les follies, ces faux châteaux et ces fausses ruines qui agrémentaient les parcs anglais, et dans lesquels on faisait habiter[...]
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Écrit par
- Mario PRAZ : ancien professeur à l'université de Rome
Classification
Média
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