RUINES, esthétique
Les ruines comme thème du romantisme
Avec le temps, la réalité se charge d'avérer les prophéties des artistes ; dans ce sens, on peut dire que les tableaux de Monsù Desiderio « portent malheur », comme veut la légende. Car sa Destruction de Sodome anticipe d'un siècle le tremblement de terre de Lisbonne. Ce désastre (1755) et les fouilles d'Herculanum furent les deux événements qui tempérèrent l'imagination des hommes vers le milieu du xviiie siècle. Ces événements donnèrent l'actualité au thème des ruines avec lequel les artistes continuaient à jouer (au xviiie siècle la tradition du rovinismo compte des noms célèbres : Sebastiano Ricci, Bernardo Bellotto, Giovani Paolo Panini, Hubert Robert). Les esprits moins subtils virent comme origine des ruines la manifestation de la colère de Dieu ; ainsi le premier des « visionnaires » italiens du xviiie siècle, Alfonso Varano, en s'inspirant de textes de Voltaire et du père Norberto Caimo, chanta en monotones terzine, d'après le modèle de Dante (en réaction contre les langueurs de l'Arcadia), la catastrophe qui avait transformé une belle ville en un tas de décombres, comme exemple du sublime terrible : car le tremblement de terre était l'œuvre du plus sublime des agents, Dieu, dans sa juste réprobation des hommes. Mais des esprits plus délicats découvrirent, en présence de tels phénomènes, une sensation nouvelle, éprouvèrent un frisson, pas tout à fait désagréable, en face du spectacle de la beauté menacée et agacée : le poète Ippolito Pindemonte appelait cela : « quell'orror bello che attristando piace » (« cette belle horreur qui plaît tout en nous rendant tristes »). Ainsi, ces mêmes ruines que les artistes du xviie siècle avaient adoptées à cause de leur bizarrerie, les hommes du xviiie les choisirent comme dépositaires de leurs vagues aspirations vers l'infini et le passé, vers la beauté menacée par la mort. C'est alors l'apogée de ce courant qui avait fait une première apparition timide avec Du Bellay, Montaigne, le tragédien élisabéthain John Webster (« I do love these ancient ruins... » dans La Duchesse d'Amalfi). Le comte de Volney s'inspira des ruines de Palmyre pour ses méditations, célèbres à leur époque, dans le goût emphatique des Nuits de Young, et, sur les traces de Volney, Thomas Love Peacock écrivit dans sa jeunesse une ode pindarique, Palmyra ; le nom de Palmyre devait rester comme une cadence pleine de suggestions exotiques dans les vers de Vigny et de Baudelaire : parfums évanouis, joyaux perdus de Palmyre. Mais l'œuvre de Volney était encore un sermon laïque, une méditation sur la caducité des grandeurs humaines, sur la condition de l'homme dans l'univers, sur l'origine des maux de la société, sur la prolifération des idées religieuses. Volney et Chateaubriand préféraient la ruine au monument intégral, car lorsque les temples s'écroulent l'œil découvre en haut, à travers les ruines, les astres. L'abbé Delille, néanmoins, protestait contre les fausses ruines bâties dans les parcs à l'imitation d'une mode venue d'Angleterre : « Tous ces temples anciens récemment contrefaits, / Ces restes d'un château qui n'exista jamais, / Ces vieux ponts nés d'hier et cette tour gothique / Ayant l'air délabré sans avoir l'air antique. » Byron exploita la vogue des ruines dans de fameux passages de Child Harold's Pilgrimage, et l'architecte sir John Soane exposa en 1832 à la Royal Academy son Architectural Ruins, a Vision. Pourtant les ruines représentent une condition définitive. Comme Giacomo Leopardi le dit dans La Ginestra : « Ces champs parsemés de cendres infécondes furent autrefois des villages et des terrains cultivés très délectables et des villes célèbres » (« [...]
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Écrit par
- Mario PRAZ : ancien professeur à l'université de Rome
Classification
Média
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