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RUPERT DE DEUTZ (1075 env.-1129/30)

Moine et théologien, mêlé aux controverses médiévales sur l'Eucharistie, Rupert est appelé indifféremment Rupert (Ruprecht), ou Robert, de Deutz, ou encore de Tuy (formes germaniques ou franciennes). Né à Liège ou en Rhénanie, il entre très jeune au monastère bénédictin de Saint-Laurent de Liège, où il reçoit une riche formation littéraire. Éloigné de son couvent, peut-être pour son attachement à la cause pontificale dans la querelle des Investitures (1092), il y revient jusqu'en 1120, date à laquelle il est élu abbé de Tuy (Rhénanie).

Après l'Office divin (De divinis officiis, 1111), œuvre de jeunesse et synthèse résumant de manière peu originale le mystère chrétien, il rédige un vaste commentaire de la Bible, intitulé De la Trinité (De Trinitate, 1112-1117) parce que les trois parties du livre, qui portent sur les trois parties de la Bible, sont rapportées aux trois personnes divines : la Genèse est l'œuvre du Père ; l'histoire d'Israël et la prophétie, l'opération du Fils ; le Nouveau Testament, l'œuvre de l'Esprit. Rupert y ajoute, à la demande d'évêques et d'amis, des commentaires de l'Apocalypse de saint Jean, des douze petits Prophètes, mais il faut mettre à part le Commentaire de l'Évangile selon saint Jean, qui soutient la présence réelle dans l'Eucharistie contre les disciples de l'hérétique Bérenger de Tours.

Une vive polémique oppose Rupert à Anselme de Laon et à son école de dialecticiens, embryon de l'université de Paris, à propos d'un théologien qui soutient par le seul raisonnement que Dieu, tout-puissant, a nécessairement voulu le mal. On a voulu voir en Rupert, en raison de certains textes acerbes de sa part contre cette « nouveauté », un tenant farouche de la « théologie monastique », liée à un état ancien de la société (la féodalité), un défenseur de l'exercice de la lectio divina, peu habile à la spéculation philosophique, en un mot un conservateur.

La réalité est moins simple : pour Rupert, la Bible s'explique par elle seule, sans la tradition, car, sur des points précis, les Pères ont pu se tromper ; contre les philosophes de Laon, il dégage peu à peu l'idée que l'Incarnation, achèvement parfait de la Création, n'est pas conditionnée par la Chute ni par l'obligation de racheter un homme pécheur. Par Honorius de Ratisbonne, cette thèse parviendra jusqu'à Duns Scot. De plus, pour Rupert, l'homme n'a pas été créé en réparation de la chute des mauvais anges, à titre de remplaçant, comme on l'enseignait depuis Grégoire le Grand, mais pour lui-même. Pour défendre la tradition telle qu'il la perçoit, Rupert est obligé de redonner du relief à ces théories, mais il sut leur imprimer un mouvement cohérent marqué par l'augustinisme et soucieux d'un ordre si possible immuable.

Sur tous ces points, Rupert innove, même si sa théologie eucharistique (où il rapproche de façon originale et contestée la consécration de l'Incarnation et de l'union des deux natures dans le Christ) ne conclut pas du tout à la transubstantiation, ce qui lui vaudra d'être accusé par Bellarmin, après le concile de Trente, de soutenir l'« impanation » (le pain consacré reste pain). Si l'on en reste là, Rupert apparaît comme négatif, mais il a eu le sens d'une histoire qui est liturgie et mystère.

— Jean-Pierre BORDIER

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