BANKS RUSSELL (1940-2023)
L'œuvre de Russell Banks, né le 28 mars 1940 à Newton (Massachusetts), s'inscrit dans la tradition du grand roman américain. Dans le sillage de Herman Melville, Mark Twain, ou encore Jack Kerouac, l'écrivain met en scène des personnages issus de l'Amérique profonde, survivant à force de combines et de petits boulots. Ses récits éclatés où se multiplient les voix narratives, s'inspirant des recherches expérimentales des années 1930 (William Faulkner, John Dos Passos), accordent une large place aux confrontations raciales. De 2000 à 2003, il a succédé à Wole Soyinka et à Salman Rushdie à la présidence du Parlement international des écrivains, chargé de défendre les écrivains victimes de persécution. Au cinéma, Russell Banks a collaboré à l’adaptation de ses propres livres comme The Sweet Hereafter(De beaux lendemains, 1997), réalisé par Atom Egoyan, ou Affliction (1997), par Paul Schrader. Il a travaillé aussi avec Francis Ford Coppola, qui souhaitait depuis longtemps porter à l'écran Sur la route, le roman légendaire de Jack Kerouac.
Le goût d'ailleurs
Étrangement, étant donné ce qu’a été la suite de son œuvre, le romancier américain Russell Banks a commencé, vers le milieu des années 1970, par ces « métafictions » dont c'était à l'époque la grande vogue – dans le sillage de Nabokov, de Borges et des formalistes américains tels que John Barth, Robert Coover ou William Gass, avec, dans le cas de Banks, quelque chose du gothique des contes de Nathaniel Hawthorne (1804-1864). La première fois que la Jamaïque, par exemple, apparaît dans son œuvre, c'est dans la très borgésienne nouvelle The New World (dans le recueil du même nom, 1978) : au xviie siècle, un prélat catholique et poète espagnol, qui avait espéré être envoyé au Mexique, est expédié en poste dans cette île obscure et raconte sa déception dans une lettre à son ami Lope de Vega. Dans Hamilton Stark (1978), la biographie du « héros » est racontée par des tiers. Selon le point de vue de chacun, il apparaît tantôt comme un ivrogne excentrique, quasi fou, qui déteste les chats et jette ses ordures dans son jardin, tantôt comme le très élégant descendant d'une vieille famille coloniale, excellent danseur et fin diseur de propos spirituels. On ne saura jamais « qui est Hamilton Stark » : le vrai sujet du roman est son mode de narration lui-même.
Puis, au fil des livres, on voit poindre autre chose. Dans Le Livre de la Jamaïque (The Book of Jamaica, 1980), la Jamaïque se trouve encore à l'intérieur d'un livre : le roman que veut écrire un professeur de collège du New Hampshire rêvant d'exotisme. Pour se documenter, il se rend sur place et découvre un monde inconnu. Parmi les nouvelles de Trailerpark (1981), il y a encore quelques « fabulations », mais ce qui est retenu cette fois, c'est la description d'êtres survivant au-dessous du seuil de pauvreté, dans de minables caravanes, au milieu d'un paysage désolé de la Nouvelle-Angleterre. Ce qu'on voit poindre, en fait, c'est la biographie de l'écrivain.
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
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AMERICAN DARLING (R. Banks) - Fiche de lecture
- Écrit par André BLEIKASTEN
- 1 019 mots
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