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RUSSIE (Arts et culture) L'art russe

L'art russe occidentalisé

L'histoire de l'art, telle qu'elle était écrite en Occident, s’est longtemps désintéressée complètement de l'art russe des xviiie et xixe siècles, pouvant faire croire qu’à l’exception des monuments de Saint-Pétersbourg, rien, dans la période qui sépare les icônes médiévales de l'avant-garde russe du xxe siècle, n’était digne d'attention. Cette méconnaissance procédait probablement d'un certain mépris éprouvé par une « culture mère » à l'égard d'une « filiale » provinciale qui ne saurait que reproduire des modèles. Pourtant, sous cette ressemblance de surface, l'art russe des xviiie et xixe siècles est en réalité doté d'une forte personnalité qui mérite d’être découverte à l’égal de la littérature ou de la musique russes.

La découverte de l’art occidental au XVIIIe siècle

L'unité de cette longue période tient à un mouvement en profondeur grâce auquel la Russie a trouvé son identité au sein de l'Europe. Le choc initial fut une révolution impulsée par Pierre le Grand, à savoir une sécularisation de l'art, qui rompait ainsi avec le système de l'art canonique et impersonnel caractéristique du Moyen Âge. Cette occidentalisation transplanta sur le sol russe les idées de la Renaissance, en les adaptant au langage des Lumières.

Les Russes empruntèrent à l’Occident des formes artistiques qu'ils n'avaient presque jamais pratiquées auparavant : la peinture de chevalet avec sa hiérarchie des genres, la gravure, la sculpture – associée jusqu'alors, dans la tradition orthodoxe, à la fabrication des idoles – ainsi que la notion d'ordre architectural, un nouveau type d'urbanisme, régulier, fondé sur un plan d’ensemble composé par un architecte, enfin l’art des jardins.

Pierre le Grand (1672-1725) - crédits : G. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Pierre le Grand (1672-1725)

Pierre le Grand accordait beaucoup d'importance à ces innovations, considérant l'art comme un domaine essentiel que l’État devait prendre en charge, car il comprenait fort bien tout le prestige qu'il pourrait en retirer. Pour atteindre cet objectif, il disposait de deux moyens : inviter des artistes étrangers en Russie, à charge pour eux de transmettre leur savoir-faire à des apprentis russes, et envoyer à l'étranger des Russes au titre de « pensionnaires ».

Cette double pédagogie eut des résultats presque immédiats. Fondée en 1703 et devenue capitale en 1712, la ville de Saint-Pétersbourg fut conçue d'emblée comme une cité européenne qui, à la différence des villes médiévales russes, répondait à un projet et dont l’urbanisme, tout de lignes droites, se fondait sur le rationalisme et les principes d'économie des Temps modernes. Le « trident » formé par les trois avenues centrales qui convergeaient vers l'Amirauté exaltait la perspective linéaire, principe optique que l’on retrouve dans les gravures qu'Alexis Zoubov (1682-après 1750) et Mikhaïl Makhaïev (1718-1770) firent de la ville.

Saint-Pétersbourg et le baroque

Les chantiers de Saint-Pétersbourg furent dirigés par des architectes étrangers. Citons Domenico Trezzini (env. 1670-1734), qui dessina de très nombreux bâtiments dans un style baroque du Nord simplifié. Originaire de la Suisse italienne, venant de Copenhague où il avait été au service de Frédéric IV, Trezzini bâtit notamment l'église de la citadelle Saints-Pierre-et-Paul, qui, avec son plan de basilique occidentale, rompait totalement avec la tradition architecturale russe des églises à plan central.

Pierre le Grand n'avait pas d'idées arrêtées en matière d'architecture, à condition que sa création ne ressemblât en rien à Moscou. Mais la visite qu'il fit à Versailles au cours de son second voyage en Europe (1716) le marqua profondément. Il fit donc venir l'architecte français Jean-Baptiste Alexandre Le[...]

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Écrit par

  • : ancien membre de l'Académie des beaux-arts de l'U.R.S.S.
  • : chargée de recherche au centre André-Chastel, université de Paris-IV-Sorbonne, docteur en histoire et civilisation de l'École des hautes études en sciences sociales, habilitée à diriger les recherches
  • : chercheuse associée au Centre d'histoire de Sciences Po
  • : docteur en histoire de l'art, membre de l'Académie russe des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, professeur de l'Institut d'architecture de Moscou, directeur de l'Institut scientifique et de recherche sur la théorie et l'histoire de l'art de Moscou

Classification

Médias

Église de l'Annonciation au Kremlin - crédits : Doug Armand/ Getty Images

Église de l'Annonciation au Kremlin

<it>Trinité, ou Philoxénie d'Abraham</it>, A. Roublev - crédits :  Bridgeman Images

Trinité, ou Philoxénie d'Abraham, A. Roublev

<it>Le Jugement Dernier</it>, École de Novgorod - crédits :  Bridgeman Images

Le Jugement Dernier, École de Novgorod