RUSSIE (Arts et culture) L'art russe
De l’avant-garde au réalisme socialiste
L’avant-garde russe
La définition de l’avant-garde communément admise aujourd’hui par les auteurs français recouvre ce que le milieu artistique russe des années 1920 appelait « l’art de gauche ». Le terme désigne les mouvements actifs de 1905 à 1930 qui rompent avec l’espace perspectiviste hérité de la Renaissance: le néoprimitivisme (Mikhaïl Larionov, Natalia Gontcharova), le cézannisme fauve (Robert Falk, Pierre Kontchalovski, Ilya Machkov, Aristarkh Lentoulov), le cubo-futurisme (Kasimir Malevitch, Alexandra Exter, David Bourliouk, Olga Rozanova), l’art abstrait (Wassily Kandinsky), l’art sans objet (qui renvoie au suprématisme de Malevitch) et le constructivisme (dont Vladimir Tatline fut le précurseur, Alexandre Rodtchenko le leader, Nicolas Taraboukine et Ossip Brik les théoriciens).
L’ensemble de ces mouvements, à l’exception du constructivisme qui s’épanouit dans les années 1920, se développe juste avant la révolution bolchévique d’octobre 1917, notamment au sein de groupes tels que le Valet de carreau puis la Queue de l’âne. Durant cette période pré-révolutionnaire, l’architecture reste en dehors de ces bouleversements. Elle réactive le modèle classique par rejet de l’art nouveau, comme en témoigne le plan d’urbanisme de Saint-Pétersbourg de 1910.
Pour l’historiographie russe, allemande et anglo-saxonne, il est cependant courant d’inclure dans la notion d’avant-garde les groupes de plasticiens de la période dite «de reconstruction» (1922-1928), qui renouvellent la figuration dans la logique d’un vaste mouvement international de réflexion sur le réalisme (Nouvelle Objectivité en Allemagne, Novecento en Italie ou Retour à l’ordre en France).
L’art de la période de reconstruction (1922-1928)
La notion de construction est au cœur des années de la nouvelle politique économique (N.E.P.), qui succède à la révolution et à la guerre civile, en 1922. La jeunesse soviétique aspire à construire un monde nouveau, une ville et un art qui lui correspondent.
L’architecture connaît l’explosion des mouvements d’avant-garde dont les deux principaux sont le constructivisme (représenté par l’Organisation des architectes contemporains ou O.S.A.) et le rationalisme (incarné par l’Association des nouveaux architectes ou Asnova), ainsi qu’un important changement programmatique à travers le développement des clubs ouvriers et des maisons communes. Les projets des frères Vesnine (O.S.A.), de Moisseï Guinzbourg (O.S.A.), d’Ivan Leonidov ou la maison-atelier de Konstantin Melnikov sont caractéristiques de la période.
Dans le domaine des arts plastiques, une multitude de groupes apparaît et débat ardemment de la définition de cet art soviétique en gestation, de ses fonctions et de ses processus de création.
On distingue deux grands mouvements: le constructivisme et le réalisme. Pour le constructivisme, l’artiste participe à la transformation sociale en élaborant une nouvelle réalité (objets de la vie courante, cadre de vie) tandis que le tableau de chevalet, en tant que média bourgeois, perd toute raison d’être. Ses particularités (exemplaire unique, durée d’exposition) ne peuvent en faire un support de propagande satisfaisant. Les constructivistes privilégient ce qui est de l’ordre du reproductible: la typographie, la photographie et le cinéma.
Le réalisme domine largement la scène artistique et sera reconnu par le parti comme le style correspondant à la vision du monde du prolétariat, nouvelle classe dominante. Il se divise en diverses tendances antagonistes. Les plus notables se situent dans la lignée des symbolistes russes (comme le groupe des Quatre Arts qui accueille Kouzma Petrov-Vodkine et Pavel Kouznetsov), des Ambulants et de divers courants : cézannien (l’Association des artistes de la Russie révolutionnaire ou A.kh.r.r et ses membres, comme Pavel Radimov ou Ilya[...]
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Écrit par
- Michel ALPATOV : ancien membre de l'Académie des beaux-arts de l'U.R.S.S.
- Olga MEDVEDKOVA : chargée de recherche au centre André-Chastel, université de Paris-IV-Sorbonne, docteur en histoire et civilisation de l'École des hautes études en sciences sociales, habilitée à diriger les recherches
- Cécile PICHON-BONIN : chercheuse associée au Centre d'histoire de Sciences Po
- Andreï TOLSTOÏ : docteur en histoire de l'art, membre de l'Académie russe des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, professeur de l'Institut d'architecture de Moscou, directeur de l'Institut scientifique et de recherche sur la théorie et l'histoire de l'art de Moscou
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Médias