- 1. La littérature médiévale (XIe-XVIIe siècle)
- 2. La littérature européenne en Russie (1730-1825)
- 3. La littérature de l'intelligentsia (1825-1890)
- 4. La littérature d'art (1890-1917)
- 5. La littérature soviétique (depuis 1917)
- 6. La littérature russe émigrée
- 7. La littérature postsoviétique
- 8. La poésie
- 9. Les nouvelles écritures dramatiques
- 10. Bibliographie
- 11. Site internet
RUSSIE (Arts et culture) La littérature
La littérature de l'intelligentsia (1825-1890)
Soumise jusque-là à des canons littéraires étrangers, la littérature russe doit son émancipation à trois écrivains qui ont subi et dépassé, chacun à sa manière, l'influence du romantisme et dont l'œuvre constituera, pour les auteurs du xixe siècle, un système de normes et de références nationales. Alexandre Pouchkine (Puškin, 1799-1837) crée, avec EvgenijOnegin (1823-1830), le prototype du héros contemporain ; attiré vers l'histoire par la curiosité romantique du passé national, il y trouve une féconde discipline intellectuelle ; enfin, poète accompli, dont l'art couronne un siècle d'élaboration de la langue littéraire et de la versification russes, il est en même temps le véritable créateur dans son pays d'une esthétique moderne de la prose. Chez Nicolas Gogol (1809-1852), le goût romantique de la couleur locale et historique, ainsi que du fantastique, ouvre la voie à une libération de l'imagination qui transfigure en épopée fantastique le spectacle déprimant de la réalité quotidienne. Enfin, chez Michel Lermontov (1814-1841), le tourment romantique de l'absolu s'épanche dans des rythmes et un vocabulaire très proches de la langue parlée et a pour contrepartie une lucidité sans faille qui lui permet, dans Gerojnašegovremeni (Un héros de notre temps, 1840), de faire de son propre personnage un type historique et social.
Cette émancipation permet à la littérature de jouer le rôle politique que lui assigne l'évolution des rapports entre la classe cultivée et la monarchie. La rébellion avortée des décembristes, en 1825, a consommé le divorce entre une élite cultivée acquise aux idéaux du siècle des Lumières et une monarchie qui, depuis Catherine II, a pris conscience des implications politiques des idées des philosophes et renonce progressivement à son rôle d'agent civilisateur pour adopter, sous Nicolas Ier (1825-1855), la devise nationaliste et conservatrice « Autocratie, Orthodoxie, Principe national ». La vie intellectuelle est étroitement surveillée par la police, et la censure sévit. La culture acquiert la signification implicite d'une opposition à l'absolutisme et au servage. C'est ainsi que naît l'intelligentsia, véritable parti de l'intelligence, dont la littérature est jusqu'en 1855 le seul moyen d'expression. Elle se partage au cours des années 1840 entre deux courants : l'occidentalisme, libéral et athée, qui attribue les maux dont souffre la Russie à sa séparation d'avec l'Europe occidentale ; le courant slavophile, attaché à la religion orthodoxe et aux institutions patriarcales de la vieille Russie, qui remet en cause les réformes de Pierre le Grand et cherche dans les classes non instruites (en particulier la paysannerie) les racines spirituelles de la vie russe.
L'esthétique réaliste se définit, après 1840, au sein de l'« école naturelle », qui regroupe autour des revues Les Annales de la patrie et Le Contemporain la plupart des jeunes écrivains nés aux environs de 1820. Elle a pour théoricien le critique Vissarion Bielinski (Belinskij, 1811-1848), commentateur enthousiaste de Pouchkine, de Gogol, de Lermontov, et polémiste passionné, dont la Lettre à Gogol (1847), inspirée par le revirement conservateur de celui-ci, sera le manifeste de l'intelligentsia occidentaliste et libérale. L'esthétique réaliste définit la littérature à la fois comme un mode de connaissance et comme une forme d'engagement social, soumettant ainsi l'impératif du beau à ceux du vrai et du bien. Elle s'appuie sur deux postulats contradictoires : le déterminisme, qui fait de l'homme un produit historique et social ; l'humanisme, qui voit en lui un absolu, source de toute valeur. Enfin, elle implique une conception réaliste du langage, qu'elle considère[...]
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Écrit par
- Michel AUCOUTURIER : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure
- Marie-Christine AUTANT-MATHIEU : directrice de recherche au CNRS, directrice adjointe de l'UMR 8224 EUR'ORBEM (université de Paris--Sorbonne - CNRS)
- Hélène HENRY : ancienne élève de l'École nationale supérieure de Sèvres, maître de conférences honoraire à l'université de Paris-Sorbonne
- Hélène MÉLAT : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université
- Georges NIVAT : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève
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Médias