- 1. La littérature médiévale (XIe-XVIIe siècle)
- 2. La littérature européenne en Russie (1730-1825)
- 3. La littérature de l'intelligentsia (1825-1890)
- 4. La littérature d'art (1890-1917)
- 5. La littérature soviétique (depuis 1917)
- 6. La littérature russe émigrée
- 7. La littérature postsoviétique
- 8. La poésie
- 9. Les nouvelles écritures dramatiques
- 10. Bibliographie
- 11. Site internet
RUSSIE (Arts et culture) La littérature
La littérature d'art (1890-1917)
Le reflux du mouvement révolutionnaire des années 1860 entraîne après 1881 une remise en question qui atteint de proche en proche l'ensemble des postulats politiques et philosophiques de l'intelligentsia. Le marxisme, avec Plekhanov, puis Lénine, entame les positions du populisme. Il marque un abandon du positivisme utilitariste et un renouveau philosophique qui mène quelques-uns de ses premiers adeptes, tels Nicolas Berdaïev (Berdjaev, 1874-1948) ou Serge Boulgakov (Bulgakov, 1871-1944), vers l'idéalisme puis, sous l'influence de Dostoïevski et de Vladimir Soloviev (Solov'ëv, 1853-1900), vers la pensée existentielle et religieuse, illustrée au début du xxe siècle par des essayistes originaux tels que Vassili Rozanov (1856-1919) ou Lev Chestov (Šestov, 1866-1938). La crise révolutionnaire de 1905 mène à une remise en question de toute l'éthique de l'intelligentsia, fondée sur la subordination de l'activité de l'esprit à des impératifs politiques et sociaux. L'expression la plus éclatante en est, en 1909, le recueil Vehi (Les Jalons) que les partis révolutionnaires taxent de trahison.
La crise de l'intelligentsia a pour corollaire une crise de l'esthétique réaliste déjà sensible dans le domaine de la prose où l'on assiste, après la mort de Tourgueniev et de Dostoïevski et la retraite de Tolstoï, à un reflux du roman au profit de la nouvelle, terrain d'élection des prosateurs les plus remarquables de la génération de 1880 et de 1890-1900 : Vladimir Korolenko (1853-1921), Vsevolod Garchine (Garšin, 1855-1888), Anton Tchekhov (Čehov, 1860-1904), Maxime Gorki (Gor'kij, 1868-1936), Ivan Bounine (Bunin, 1870-1953), Alexandre Kouprine (Kuprin, 1870-1938) et Léonide Andréïev (Andreev, 1871-1919). Porté à la perfection par Tchekhov qui peint les intellectuels moroses de sa génération avec le laconisme de l'humoriste et la lucidité impitoyable du médecin, l'art de la nouvelle trahit ici un certain scepticisme pessimiste dont Tchekhov refuse de faire un alibi de l'indifférence et de la résignation. Ce pessimisme s'accentue dans les nouvelles de Garchine et de Léonide Andréïev, que l'obsession du mal, de la souffrance et de la mort fait évoluer vers une sorte d'expressionnisme. Il est tempéré chez Kouprine par un vigoureux tempérament de publiciste ; il prend chez Bounine la forme d'une vision tragique du bonheur de vivre dont l'acuité n'est jamais mieux ressentie qu'en présence de la mort. La réaction contre le pessimisme s'esquisse dans l'œuvre de Korolenko, et surtout de Maxime Gorki qui prend pour héros, dans ses premiers récits, des vagabonds sans attaches sociales, pleins de santé et de joie de vivre, et les oppose au scepticisme peureux des « petits-bourgeois ». Cette recherche d'un héros actif et ayant foi en l'avenir amène Gorki à mettre son espoir en la classe ouvrière et à adhérer au marxisme, dont il traduit dans Mat' (La Mère, 1906) l'optimisme historique.
Transposé au théâtre, le réalisme laconique de Tchekhov déplace la charge dramatique de la pièce du contenu explicite des dialogues vers le « sous-texte », l'atmosphère, les silences. Il annonce ainsi le règne du metteur en scène, inauguré au Théâtre d'art de Moscou par Constantin Stanislavski (Stanislavskij, 1863-1938), dont le système tend précisément à recréer une atmosphère. Développé par Gorki dans le sens du réalisme social, il se prête cependant à une interprétation symboliste et prépare ainsi les succès de la dramaturgie de Léonide Andréïev et d'Alexandre Blok (1880-1921).
La remise en question de l'esthétique réaliste se manifeste de façon plus consciente et plus radicale dans le renouveau poétique qui s'amorce après 1890, en partie sous l'influence du[...]
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Écrit par
- Michel AUCOUTURIER : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure
- Marie-Christine AUTANT-MATHIEU : directrice de recherche au CNRS, directrice adjointe de l'UMR 8224 EUR'ORBEM (université de Paris--Sorbonne - CNRS)
- Hélène HENRY : ancienne élève de l'École nationale supérieure de Sèvres, maître de conférences honoraire à l'université de Paris-Sorbonne
- Hélène MÉLAT : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université
- Georges NIVAT : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève
Classification
Médias