RUSSIE (Arts et culture) La musique
Chants populaires
Les chants populaires remontent au paganisme ensoleillé tel qu'il était pratiqué sur le plateau de l'Iran. De tous les cultes païens d'Europe, celui des Slaves est resté le plus fidèle aux origines, les noms des divinités étant souvent les mêmes. Leurs incantations, leur adoration de Yarilo, le dieu-Soleil qui chasse l'hiver et féconde la Terre, ont été pénétrées d'un optimisme ardent et leur ont inspiré des airs vifs et dansants. Elles ont développé en outre leur goût du panthéisme et fertilisé leur imagination qui, derrière chaque objet et derrière chaque forme, leur fait entrevoir un mythe, une action, et peuple la nature d'êtres fabuleux, d'esprits ou de génies. Ce ne sont généralement pas des chants à proprement parler, mais plutôt des jeux, des rondes, etc. Assez rudimentaire, l'Olympe des premiers Slaves, qui furent essentiellement un peuple d'agriculteurs, se fondait sur le culte du Soleil et de la Terre : de là, tout un cycle de chants et de rites saisonniers – un calendrier qui débutait dans la nuit du 24 au 25 décembre (cette nuit-là, « le Soleil virait vers l'été ») – célébrait successivement le retour du printemps, celui de l'été, les moissons et le Nouvel An qui, jusqu'à l'époque de Pierre le Grand, fut fêté en septembre.
Que peut-on dire de ces premiers chants, d'un point de vue musical ? En règle générale, leur ligne mélodique, très simple, évoluait dans les limites de la tierce, de la quarte, exceptionnellement de la quinte. Elle procédait d'une cellule brève, probablement dérivée des formules magiques ou incantatoires des premiers rites païens. Pour que s'organise et se développe cette ligne mélodique rudimentaire, il faut attendre l'influence des chanteurs « savants », formés dans les villes ou les cours princières, qui introduisirent la note sensible, que très singulièrement, dès le xviie siècle, on appelait en Russie la note bleue – exactement comme dans les blues ! On s'aperçoit ainsi que les chants populaires russes ne connaissent ni majeur, ni mineur, ni tonique, ni dominante, mais utilisent trois gammes de quatre tons – l'une dorienne (mi, fa, sol, la), l'autre lydienne (do, ré, mi, fa) et la troisième phrygienne (ré, mi, fa, sol) – qui peuvent s'enchaîner en sept degrés aux intervalles diatoniques. Cela à telle enseigne que la présence du chromatisme dans une mélodie doit faire douter de l'authenticité d'un chant populaire russe, ou, du moins, de son ancienneté. Ces premiers chants étaient optimistes. D'autres apparurent plus tard, hérités de l'oppression tatare longue de quelque deux siècles – des complaintes dont la beauté musicale touche vivement une oreille occidentale et contribue à entretenir la légende de l'« âme slave ». Les gémissements de la fiancée ou de la veuve inconsolables, les plaintes des paysans, dont les champs ont été ravagés, ont inspiré des pages si émouvantes qu'Alexandre Pouchkine a pu écrire (en simplifiant un peu les choses) : « Depuis le dernier des cochers et jusqu'au premier des poètes, nos chants sont mélancoliques... »
Il faut ajouter à cela une caractéristique d'ensemble qui a tellement frappé les premiers auditeurs européens occidentaux de la musique de Glinka et de ses successeurs : les rythmes, issus de la prosodie populaire, sont d'une totale liberté, de même que la mélodie qui s'y est adaptée ; il en résulte de fréquents changements de mesure à l'intérieur d'un même morceau (comme chez Stravinski !), ainsi qu'une prédominance des rythmes impairs.
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Écrit par
- Michel-Rostislav HOFMANN : membre de la Société des gens de lettres et de l'Académie Charles-Cros
Classification
Médias