RUSSIE (Arts et culture) La musique
Glinka et la musique russe moderne
Pour créer une école nationale, Glinka a fait des emprunts à l'Occident, surtout à l'Italie, qu'il a longuement visitée et beaucoup aimée, et à l'Allemagne – il a fait des études à Berlin, sous la direction de Siegfried Dehn (1799-1858), un élève de Beethoven. À la première, il devait le goût des mélodies bien chantantes, qu'il a transmis à ses successeurs ; à la seconde, une science de l'harmonie qui lui a surtout servi à bâtir une harmonie russe, établie sur une parfaite connaissance des chants populaires (on peut y relever, de même que chez les Cinq, une abondance des quintes dominantes et des accords de 7e incomplets ; en outre, elle doit son individualité à l'utilisation de modes populaires qui déterminent souvent une écriture « hors du ton »). D'autre part, en adoptant des formes occidentales, il les a assouplies ; il a emprunté aux chants populaires russes leur amour de l'impair et fait en sorte que les périodes elles-mêmes ne soient plus carrées, comme chez les maîtres classiques. Enfin, « ma fantaisie effrénée n'a jamais pu se passer de données précises » a déclaré Glinka, précurseur de Moussorgski ; à sa suite, les compositeurs russes ont d'abord écrit des œuvres à programme, des opéras de préférence (la musique populaire était fondamentalement vocale), si bien que les Russes ont tardé à se manifester dans le domaine de la musique « pure », symphonique ou instrumentale. Mais, pour la même raison, la richesse vocale, surtout chorale, de la musique russe est considérable. Dans les opéras occidentaux, les chœurs se présentent souvent comme des « numéros introduits », insérés et qu'on pourrait supprimer sans porter de grave préjudice, du moins au déroulement de l'action. Au contraire, chez les Russes, en raison de leur conception populaire du drame lyrique, le chœur est un personnage essentiel, actif et efficace, toujours en situation, et de toutes ses voix conjuguées surgit une entité animée d'une puissance élémentaire qui vibre, s'émeut, prend part à l'action et la conduit autant que les solistes.
L'image d'un « père de la musique russe » est aussi séduisante que simpliste. Il n'y a pas de génération spontanée, et il est bien évident que la musique russe n'est pas née du jour au lendemain, au début du xixe siècle. En fait, depuis ses origines, elle a connu une existence souterraine et presque clandestine (du moins en ce qui concerne la musique profane), limitée au peuple – tellement était profond le fossé qui séparait les classes dirigeantes des classes dirigées. Certes, dans les milieux aristocratiques, on pratiquait la musique, surtout depuis le règne de Pierre le Grand, monarque qui, selon ses propres termes, avait voulu « percer une fenêtre vers l'Europe » ; mais tout l'art « officiel » était entièrement confié à des étrangers, venus d'Italie, d'Allemagne et de France, et il a fallu les grandes campagnes de Napoléon, surtout celle de Russie, pour que des liens réels se renouent entre les diverses classes, pour qu'on redécouvre la richesse du fonds populaire et qu'on en tolère l'exploitation. Entreprise par Glinka et Alexandre Dargomyjski (1813-1869), celle-ci a été poursuivie par le groupe des Cinq (Cui – Balakirev – Borodine – Moussorgski – Rimski-Korsakov) et Tchaïkovski, quoique dans des conditions différentes : les Cinq étaient des autodidactes, des instinctifs, tandis que Tchaïkovski avait fait des études complètes dans un conservatoire calqué sur ceux d'Europe occidentale. Ces musiciens eurent pour successeurs immédiats ceux qu'on a parfois appelés « les grands épigones », c'est-à-dire Serge Rachmaninov (1873-1943), Alexandre Glazounov (1865-1936), Anatole Liadov (1855-1914), Nicolas Tcherepnine (1873-1945), [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel-Rostislav HOFMANN : membre de la Société des gens de lettres et de l'Académie Charles-Cros
Classification
Médias