RUSSIE (Arts et culture) Le théâtre
L'année 1898 est une des grandes dates de l'histoire du théâtre européen. Elle marque la fondation du Théâtre d'art de Moscou, en réaction contre l'académisme, le vedettariat, le bas niveau du répertoire et le caractère commercial de la scène russe de l'époque. C'est sur les planches du Théâtre d'art que se produit la rencontre des deux figures fondatrices, Konstantin Stanislavski et Vsevolod Meyerhold, dont les œuvres constitueront, selon le mot de l'acteur Mikhaïl Tchekhov, les deux moitiés de l'arche puissante du théâtre russe du xxe siècle. Meyerhold construira son « théâtre de la convention consciente » contre le réalisme du Théâtre d'art qui l'a formé, après avoir tenté de l'établir en son sein, au moment de la brève existence du Théâtre-Studio, lieu expérimental animé par le maître et l'élève en 1905.
La qualité des recherches artistiques entreprises par les hommes de théâtre russes, leurs utopies et leur pratique de la pédagogie, conduisent la scène russe du début du xxe siècle, en une période où des réformes profondes se manifestent également sur les scènes européennes, à un très haut niveau. Réalisme, naturalisme, symbolisme, futurisme : les théories concernent la dramaturgie, le décor, le jeu de l'acteur. Le cinéma naissant aiguise les questionnements. L'art du metteur en scène, appuyé souvent sur une volonté de rigueur quasi scientifique, se développe très vite dans l'effervescence de la vie littéraire et artistique, la passion des débats suscités par cette prise de pouvoir.
Après les transformations brutales qu'entraînent sur le plan politique et social les événements d'octobre 1917, le décloisonnement des différents arts du spectacle se poursuit et s'accélère. C'est sur une scène profondément modifiée et devant un public nouveau que s'expriment avec force les rêves de transformation du monde et de l'homme. Productivisme et constructivisme repensent la place de l'art et tout particulièrement du théâtre dans la société. L'agit-prop invente des formes légères et mobiles au service d'un art engagé. De 1919 date le premier décret sur la nationalisation des théâtres. Désormais, cet art va occuper une place privilégiée dans la culture de la Russie soviétique et de l'U.R.S.S. (création d'un grand réseau de troupes permanentes subventionnées par l'État, développement du théâtre amateur, du théâtre pour enfants, organisation de structures de formation pour artistes et techniciens du théâtre). La chape de plomb du stalinisme et du réalisme socialiste fige, à la fin des années 1930, l'extraordinaire vitalité dont a fait preuve le théâtre soviétique, riche en spectacles d'anthologie.
À partir de 1954, à la faveur du dégel, les théâtres commencent à se libérer du carcan idéologique, et les grandes scènes de la période brejnévienne, sous la direction d'Oleg Efremov, Anatoli Efros, Iouri Lioubimov, Georgui Tovstonogov, lutteront contre la censure pour retrouver un dialogue authentique avec les maîtres de la première moitié du xxe siècle – trop rapidement disparus (Evgueni Vakhtangov), fusillés comme ennemi du peuple (Meyerhold), ou dont les recherches ont été momifiées (Stanislavski). Le théâtre est alors l'ultime conscience d'un pays où règne partout ailleurs la langue de bois. Car, même si Meyerhold a été juridiquement réhabilité en 1955, sa réhabilitation artistique ne s'effectuera que très lentement.
Après la perestroïka commence une nouvelle phase historique, caractérisée par la remise en cause des structures antérieures, l'abandon de la censure, les possibilités nouvelles d'échanges et de tournées. De nouveaux noms semblent émerger pour l'Occident : Lev Dodine, Anatoli Vassiliev, Piotr[...]
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Écrit par
- Béatrice PICON-VALLIN : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du Laboratoire de recherche sur les arts du spectacle
- Nicole ZAND
: journaliste au
Monde
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