RUSSIE (Arts et culture) Le théâtre
Du dégel à la stagnation bréjnevienne
C'est avec l'arrivée au pouvoir de Khrouchtchev que le « dégel » commence à atteindre le théâtre, comme les autres activités intellectuelles et artistiques soviétiques. Jusqu'à cette époque, prévalent en effet les critères manichéens imposés par Jdanov, l'organisateur de la résistance de Leningrad contre les nazis, mais aussi le maître absolu du monde intellectuel. Il s'impose de présenter exclusivement des héros « positifs » qui illustrent à propos de la société soviétique la dialectique, non pas du bien et du mal, mais seulement « du bon et du meilleur ». Son influence particulièrement nocive n'a pas disparu avec sa mort. Bien que décédé en 1948, l'homme a compté pendant longtemps bien des nostalgiques, voire des disciples. Ceux-ci ne sont cependant pas parvenus à chasser de toutes les scènes les « enfants de Khrouchtchev », comme Efremov, Tovstonogov, Efros ou Lioubimov, dont les noms dominent le théâtre soviétique. Ils s'y sont hissés au début des années 1960 et s'y cramponnent ensuite, parfois au prix d'exercices d'équilibre difficilement compréhensibles pour l'Occident non initié. Il leur fallut en effet opérer constamment dans leur répertoire un savant dosage entre auteurs officiels et auteurs « sulfureux », sacrifier, bien sûr, à toutes les commémorations « patriotiques » ou « socialistes », et ne pas oublier pour autant les pièces célébrant « la production ».
Un éditorial des Izvestia indique, en 1974, que ce qui doit intéresser au théâtre, c'est encore et toujours « l'homme créateur, l'individu qui agit ». Pour « ennoblir l'homme », les auteurs ne doivent pas hésiter à nous « transporter en Sibérie, dans les exploitations pétrolières, dans les lieux où se constituent de grands complexes industriels, où l'on pose des voies ferrées, dans une grande usine de Moscou, dans une école où des jeunes viennent de terminer leurs études, éblouis au seuil de la vie par le miracle de l'amour qu'ils viennent de découvrir ».
Quant à la mission des metteurs en scène et des acteurs, elle est ainsi définie : « Les artistes soviétiques considèrent à juste titre qu'ils sont vraiment des travailleurs du front idéologique. Leur art, profondément imprégné par l'esprit de parti, chante l'exploit du peuple et de son travail, réagit avec intransigeance aux menées de l'idéologie bourgeoise et à la morale bourgeoise, favorise la formation de la morale communiste de l'activité civique. »
Efremov et le théâtre Sovremmenik
Le nom d'Oleg Efremov (1927-2000) reste lié à celui du théâtre Sovremmenik (« contemporain »). C'est en 1956 – l'année du rapport secret de Khrouchtchev – que le Sovremmenik a été créé par de jeunes diplômés de l'école du Théâtre d'art, groupés autour d'Efremov. Le but de la nouvelle compagnie est de présenter surtout un répertoire contemporain et d'encourager les jeunes auteurs soviétiques. Le théâtre devient bientôt très populaire grâce à un ton, à un style de mise en scène et à un répertoire exceptionnels, avec des pièces de Victor Rozov, de Vassili Axionov (Toujours à vendre, 1965), de Mikhaïl Rochine, et aussi grâce à des pièces étrangères comme Les Jeunes Gens en colère de John Osborne, Deux sur la balançoire de William Gibson ou La Ballade du café triste d'Albee.
Le dernier grand travail d'Efremov au Sovremmenik est une trilogie traitant des trois grands mouvements révolutionnaires russes : Les Décembristes, Les Populistes et Les Bolcheviks. Posant la question de l'opportunité du parti unique, cette dernière pièce attire tout particulièrement l'attention ; l'action se situe en 1918, peu après que Lénine a été blessé[...]
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Écrit par
- Béatrice PICON-VALLIN : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du Laboratoire de recherche sur les arts du spectacle
- Nicole ZAND
: journaliste au
Monde
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