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RUSSIE Vue d'ensemble

L'hyperbole est d'usage dès qu'il s'agit de la Russie. La démesure y est montrée partout à l'œuvre, dans le territoire comme dans les passions individuelles et l'histoire collective. Au panthéon littéraire elle a légué des héros caractérisés par leurs excès, indolent Oblomov ou modèles exaltés de l'Homme révolté. Le flirt constant avec l'infini se dit jusque dans la conquête de l'espace : les Russes y dépêchent des cosmonautes quand d'autres se contentent d'y envoyer des astronautes.

« On ne peut pas comprendre la Russie par la voie de la raison ». Ces mots du poète Fiodor Tioutchev ont durablement verrouillé le dialogue. Pour justifier l'incapacité à rendre compte de modes de fonctionnement jugés irréductibles aux standards occidentaux, on invoque une « âme russe » et la Russie, cristallisant les fantasmes, fascine ou fait peur. Difficile de s'orienter dans une forêt de clichés...

Certains cependant, cherchant un soubassement matériel à cet « exotisme » russe, montrent comment l'histoire a été façonnée par le milieu naturel.

Il est en effet étroit le lien de l'homme russe à la nature, comme l'atteste la littérature nationale. La rudesse du climat aurait forgé le caractère des habitants de cet espace situé en grande part au nord du 50e parallèle. Le rythme agricole, avec sa longue léthargie hivernale suivie d'une période de travaux des champs aussi brève qu'intensive, aurait déterminé l'alternance de torpeur et d'exaltation, elle aussi abondamment illustrée par les écrivains russes. Par-delà ces représentations essentialistes, le climat – « le général hiver » – fut objectivement un allié précieux des Russes, que ce soit contre les troupes napoléoniennes ou nazies.

Le mode d'organisation sociale, avec la prééminence du collectif, qui traverse l'histoire tant russe que soviétique, est lui aussi ancré dans un environnement hostile qu'on ne peut domestiquer qu'en unissant les efforts de tous, et dans l'idée que la géographie, avec ses grandes plaines ouvertes qui font de l'espace russe un couloir d'invasion, impose une cohésion sans faille comme ligne de défense.

Pour la même raison, la Russie aurait été vouée à devenir un empire, particulier, sans métropole, construit, sans solution de continuité, au fil des siècles et de l'annexion des confins.

Le système de gouvernement à son tour, avec ces régimes politiques qui n'ont été guère plus tempérés que le climat, est expliqué par l'immensité du territoire qui, pour garder son unité, a besoin d'une poigne de fer, ou à tout le moins d'un pouvoir autocratique. On évoque souvent les figures terribles des souverains associés à des périodes de fermeture de cet espace (d'Ivan le Terrible à Staline) ; on ignore généralement les affres subies par la société quand c'est l'occidentalisation (de Pierre le Grand à Boris Eltsine) que visent ces révolutions par en haut, typiques du mode de gouverner russe.

Voilà la Russie constituée en monde à part. Le glissement de la spécificité vers la vocation particulière dans le monde se fait tout naturellement.

Dès la chute de Byzance, l'idée de Moscou « troisième Rome », capitale du monde chrétien, dépositaire de la vraie foi, a doté la Russie d'une mission sacrée à laquelle elle ne pouvait se dérober sans se trahir. L'image du peuple russe christophore (porteur du Christ), souffrant pour l'humanité, connaît aussi une version laïcisée, qui injecte un souffle épique dans l'histoire nationale : la Russie s'est sacrifiée pour constituer un rempart contre la barbarie, qu'elle soit mongole ou nazie.

À leur tour, les bolcheviks ont voulu faire du peuple soviéto-russe l'avant-garde montrant au monde le chemin de l'avenir radieux[...]

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Écrit par

  • : professeure émérite en civilisation russe à Sorbonne-université

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