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RUTEBEUF (1230?-? 1280)

Sous le nom de Rutebeuf, c'est un chapitre décisif de la littérature poétique du xiiie siècle qui nous a été conservé. Déchirure dans l'ordonnance rigoureuse de la poésie courtoise des trouvères : le modèle de la fin' amor, la patiente élaboration du personnage selon un rituel poétique minutieux font place à la rupture avec l'ordre, esthétique et social, au cri de colère ou de détresse, à l'éparpillement des images du monde et des visages du moi. Affleure ainsi une tradition des jongleurs jusqu'alors maintenue en marge de la littérature écrite. Cet avènement dans l'écriture est le symptôme d'une nouvelle forme de culture où se combinent souvent, parfois s'opposent dans la polémique et la propagande, sous l'influence des milieux universitaires, l'Église, la cour et la ville.

Engagement et repentance

La signature du poète nous renvoie à une personne inconnue. Nous ne savons de l'auteur que ce que ses œuvres veulent bien nous dire. La critique moderne hésite donc entre une interprétation naïve de ses aveux et un scepticisme total, compte tenu des aspects conventionnels de la complainte, mode d'expression le plus constant chez Rutebeuf. Certains chercheurs ont réagi contre la perspective strictement formaliste en faisant apparaître une logique possible de l'existence, derrière les variations de l'œuvre. On peut ainsi suivre dans ses grandes lignes l'hypothèse de M. Dufeil pour reconstituer la biographie de l'auteur. Il a dû naître en 1229, et s'est signalé en composant le Dit des Cordeliers, œuvre de polémique locale, à Troyes (1249). Il met ensuite son talent au service du clan universitaire de Paris qui résiste à l'implantation des ordres mendiants. Guillaume de Saint-Amour est la vedette de cette résistance, les franciscains représentent le parti ennemi. De 1255 à 1259, Rutebeuf compose notamment la Descorde de l'université, Des règles, De Sainte Église, La Bataille des Vices et des Vertus, Des Jacobins, Des ordres de Paris. Dans cette bataille, l'attaque déborde naturellement le cadre de l'Université et s'en prend à l'influence de la papauté sur le pouvoir royal et sur l'enseignement par l'intermédiaire des religieux, il faut bien dire, pleins de talent. Rutebeuf regrettera un jour les excès de la satire. C'est que le parti de Guillaume est vaincu. On peut voir là la raison de l'infortune, thème des poèmes les plus célèbres et les plus attachants, qui dateraient donc des années 1260-1262 : Renart le Bestourné, Le Mariage, La Complainte Rutebeuf, la Griesche d'hiver et la Griesche d'été. Un changement de poétique et de philosophie s'exprime alors dans la Repentance.

Le nouvel état d'esprit s'inscrit dans La Voie de paradis, dans la Complainte de Constantinople, Frère Denise. Une sorte de conversion fait écrire à Rutebeuf sa belle Vie de sainte Marie l'Égyptienne, Du sacristain, et Sainte Élysabel. Son chef-d'œuvre, Le Miracle de Théophile, résumerait l'erreur (sept années de vie avec le Diable) et la réparation : la pièce aurait été composée pour le 8 septembre 1263. Rutebeuf retrouverait alors du service auprès du roi, et même de l'Église. C'est la période de sa grande prédication poétique pour la croisade avec La Chanson de Pouille (1264), La Complainte du comte de Nevers (1266), La Voie de Tunis (1267). Sa dernière œuvre, La Nouvelle Complainte d'outre-mer, serait de 1277. Trois poèmes sont essentiels pour comprendre le sens de ce destin : La Paix, La Pauvreté et La Repentance Rutebeuf (parfois intitulé La Mort). Malgré leur thématique, ils ne doivent pas dater de la fin de sa carrière, mais de ce revirement auquel nous faisions allusion. On devine la part d'authenticité dans la fabrication conforme aux motifs obligés du genre : ce n'est[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

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    ...Robert de Blois, Richard de Fournival, Tibaut (Roman de la Poire), Nicole de Margival (Dit de la Panthère d'amour) et Nicole Bozon. Le grand poète Rutebeuf utilise dans bon nombre de ses œuvres une allégorie simple (Complainte de Guillaume) ou complexe (Voie de Paradis). Il est de ceux qui traitent...
  • MOYEN ÂGE - La poésie lyrique

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    • 5 690 mots
    Plus que la cour, c'est la ville qui favorise l'essor d'une poésie distincte de la tradition courtoise. Rutebeuf († 1285), qui fit carrière à Paris, joue dans ses poèmes un personnage non conformiste, parlant avec entrain de son mariage, de sa pauvreté, de ses amitiés et surtout de ses rancœurs. La médiation...