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RUTEBEUF (1230?-? 1280)

Système de la satire

Le genre de la complainte satirique met de toute façon en rapport la vie privée et la vie publique, faisant appel à l'opinion, et visant à l'action, morale, politique ou économique, les problèmes d'argent restant une préoccupation constante et réaliste de cette littérature. Cette participation à l'activité historique est évidente dans la querelle de l'université de Paris. Mais la qualité littéraire transcende l'actualité politique grâce à tout un système esthétique qui organise l'apparent désordre des idées. Les poèmes de Rutebeuf, qui se présentent souvent comme des diptyques ou des triptyques, sont faits pour être comparés. Ainsi la Griesche d'été continue la Griesche d'hiver, La Complainte Le Mariage, La Repentance La Paix. Même les poèmes de croisade se répondent, La Nouvelle Complainte d'outre-mer renvoyant à la première et à la Complainte de Constantinople. C'est dire que nous n'avons pas affaire à des pamphlets de circonstance, mais aux pages d'un livre qui se construit dans le travail et la réflexion. De plus, chaque poème suppose acquis un certain héritage littéraire ; chaque motif entrant dans la composition apparaît comme une variation sur un thème connu. Ainsi l'on reconnaît le motif inversé de la reverdie des trouvères au début du Dit d'Hypocrisie :

Au tens que les cornoilles braient, Qui por la froidure s'esmaient Qui seur les cors lor vient errant...

(« Au temps où les corneilles font entendre leur plainte, quand elles sont en émoi à cause du froid qui s'abat soudain sur elles... ») Étrange avatar du rossignol lyrique, dans cette réplique de la satire ! L'adaptation, la transformation, la transposition du registre noble dans le style humble de la complainte se vérifient à tous les plans du travail poétique : le personnage de Renard est présenté aussi à l'envers, bestourné, dans un poème critiquant la cour de Louis IX. Les thèmes allégoriques de la bataille et du voyage, illustrés par de célèbres poèmes latins, servent aux intentions particulières de notre polémiste. Le poète ne cite pas, mais il se sert de ses lectures, souvent dans un esprit de caricature, mais souvent aussi avec une délicatesse qui le distingue :

Issi sui com l'osiere franche Ou com li oisiaus seur la branche : En esté chante, En yver plor et me gaimante, Et me desfuel ausi com l'ente Au premier giel.

(« Je suis comme l'osier sauvage ou comme l'oiseau sur la branche : en été je chante, en hiver je pleure et me lamente, et je perds mes feuilles comme l'arbre au premier gel ».) S'identifiant à la fois à la branche et à l'oiseau, Rutebeuf par-delà les âges fait signe à Verlaine et à Apollinaire.

Mais, on le voit par ce dernier exemple, le langage, les mots, les lettres jouent un grand rôle dans l'effet poétique (notez ce moi-oiseau et osier). Au début il y a la verve, cette ivresse verbale dont le Dit de l'Herberie nous donne l'exemple, en petite vélocité. L'art du jongleur, proche du bateleur, est celui du monologue et même du dialogue pour une seule voix. La satire doit beaucoup au discours dramatique, qu'il s'agisse des thèmes domestiques ou de la croisade. Celle-ci se prêche à l'occasion d'une mort, et mêle donc à l'éloquence funèbre le sermon parfois violent dans ses formules cinglantes. La tension qui s'établit entre l'amplification par la rhétorique et le morcellement par le rythme coupé 8/4 donne plus de vivacité à ces paroles en apparence improvisées, mais auxquelles toutes les manœuvres de l'ornement grammatical donnent une exceptionnelle densité. Les figures de l'étymologie, de l'homonymie et de la paronomase prennent au piège de la lettre ce discours plus « grammatique » que dramatique. Ainsi dans La Repentance[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

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    ...Robert de Blois, Richard de Fournival, Tibaut (Roman de la Poire), Nicole de Margival (Dit de la Panthère d'amour) et Nicole Bozon. Le grand poète Rutebeuf utilise dans bon nombre de ses œuvres une allégorie simple (Complainte de Guillaume) ou complexe (Voie de Paradis). Il est de ceux qui traitent...
  • MOYEN ÂGE - La poésie lyrique

    • Écrit par
    • 5 690 mots
    Plus que la cour, c'est la ville qui favorise l'essor d'une poésie distincte de la tradition courtoise. Rutebeuf († 1285), qui fit carrière à Paris, joue dans ses poèmes un personnage non conformiste, parlant avec entrain de son mariage, de sa pauvreté, de ses amitiés et surtout de ses rancœurs. La médiation...