BENEDICT RUTH FULTON (1887-1948)
L'ethnologue américaine Ruth Benedict ne vint, avec enthousiasme d'ailleurs, à la recherche anthropologique que vers la trentaine, déçue qu'elle était alors par les études de littérature anglaise qu'elle avait entreprises à Vassar en 1905. Elle s'initia à l'ethnologie au sein de la New School for Social Research sous l'influence et la direction de Goldenweiser et de Elsie Clews Parsons (1919-1922) et se lia avec Franz Boas, dont elle fut l'assistante (1922-1923) ; elle écrivit, sous la direction de Robert Lowie, son premier article : « The Visions in the Plains Culture » (1922). Dans son premier travail de terrain, chez les Serrano, elle eut pour guide Alfred Kroeber (1922), mais la quasi-surdité lui rendit toujours très difficile ce genre de recherche.
À partir de la très grande différence de comportement culturel qu'elle avait notée entre les Indiens Pima et les Indiens Pueblo, ces derniers mettant l'accent sur l'harmonie et la modération alors que les premiers prônaient l'excès et l'exaltation, Ruth Benedict en vint à considérer la culture non pas seulement comme une matrice au sein de laquelle les personnalités particulières s'organisent, mais comme ayant elle-même une personnalité propre sur une échelle plus vaste. Cette théorie sur laquelle se fonde son livre Patterns of Culture (traduit en français par Échantillons de civilisation, titre impropre auquel on aurait préféré, comme le suggère G. Condominas, celui de Patrons de culture) fut présentée pour la première fois devant le XXIIIe congrès des américanistes en 1928. L'ouvrage lui-même, qui eut un très grand succès mais suscita de vives polémiques, ne parut qu'en 1934. Il recourt aux catégories d'apollinien et de dionysiaque empruntées à Nietzsche, pour caractériser les différences opposant la culture des Pueblo à celles des autres Indiens américains. D'autre part, il qualifie de paranoïde la culture des indigènes de Dobu et de mégalomane celle des Kwakiutl.
Ruth Benedict fonda en 1928 le Journal of American Folklore. Elle dirigea de nombreuses recherches chez les Apaches et les Indiens Pieds-noirs. La Seconde Guerre mondiale lui ouvrit de nouveaux champs d'activité, notamment celui de l'application de la pensée anthropologique aux sociétés contemporaines. R. Benedict étudia en profondeur la Roumanie, la Thaïlande, l'Allemagne, la Hollande et le Japon. Sur ce dernier pays, en 1946, elle publia l'ouvrage dans lequel on peut voir son chef-d'œuvre, Le Chrysanthème et le sabre (The Chrysanthemum and the Sword). Tout en visitant les pays qu'elle avait jusqu'alors étudiés sur documents, elle mit en œuvre un grand projet de recherche sur les cultures contemporaines en vue d'élaborer un grand manuel illustrant sa conception de l'anthropologie appliquée comme science pertinente pour l'analyse des relations entre gouvernements nationaux. Elle mourut avant que ce projet pût prendre sa pleine expression, mais elle eut cependant le temps d'approfondir sa théorie selon laquelle toute culture doit être considérée comme étant un ensemble intégré qui a sa propre configuration. Chaque individu d'une culture déterminée se comporte en fonction du « patron » que celle-ci actualise. On a reproché à cette théorie son réductionnisme extrême des caractéristiques culturelles au profit de leur résultante supposée. En disant, par exemple, que la culture des Indiens Zuñi est apollinienne (Zuñi Mythology, 1935), Benedict en arrive à expliquer, dans une large mesure, le comportement de chaque Zuñi par ce « patron » même. Cette façon de procéder, très simplificatrice, ne permettait pas de rendre compte de l'éventail des comportements possibles à l'intérieur de chaque culture.
Ruth Benedict a joué un rôle important dans le développement[...]
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Écrit par
- Raymond ECHES : assistant à l'U.E.R. des lettres et sciences humaines de l'université de Nice
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