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GORDON RUTH (1896-1985)

Né en 1896 à Quincy (Massachusetts), Ruth Gordon avait commencé sa carrière dans des films muets produits à Fort Lee (Camille, 1915 ; The Whirl of Life, ibid.). Elle la poursuivit à Broadway où, en 1937, elle donne une interprétation peu conventionnelle de Nora, héroïne de Maison de poupée d'Ibsen. Sa prestation insolite ne passe pas inaperçue aux yeux des talent-scouts hollywoodiens, qui lui proposent d'interpréter le rôle de Mary Todd, future épouse du président Lincoln, dans le film de John Cromwell Abe Lincoln in Illinois, adapté de la pièce de Robert Sherwood.

Elle tournera encore quelques films dans les années 1940, notamment dans La Femme aux deux visages de George Cukor (1941), le dernier film de Greta Garbo, où l'actrice interprète le rôle de l'imprésario ingénieux, ressort de nombreuses comédies. Hollywood ne lui offrant que des rôles de « faire-valoir », elle se consacre à l'écriture de pièces qui connaissent une honnête carrière. Elle ne renonce pourtant pas au cinéma, s'illustrant comme scénariste des meilleurs films du couple Spencer Tracy-Katharine Hepburn. Devenue l'épouse du réalisateur Garson Kanin, elle cosigne avec lui les dialogues de Adam's Rib (Madame porte la culotte, 1949) et de Pat and Mike (Mademoiselle Gagne-Tout, 1952) tous deux de George Cukor. Elle écrit sur mesure des répliques en or pour les deux grands comédiens de la Metro Goldwyn Mayer. Elle est également la scénariste de deux autres films de George Cukor : A Double Life (1948), inspiré d'Othello, et The Actress (1953), d'après sa propre pièce, Her Own Play.

À l'aise dans les situations farfelues, elle accepte en 1968 de revenir au cinéma sous la direction de Polanski, dans Rosemary's Baby. Le réalisateur utilise merveilleusement la vieille dame, malicieuse et perverse, qui initie Mia Farrow au culte de Satan. Ruth Gordon obtint l'oscar du meilleur second rôle pour ce personnage de « sorcière » échappé des nouvelles d'Isaac B. Singer. Sur cette lancée, elle tourna un film d'humour noir, Whatever Happened to Aunt Alice, de Lee Katzin, et surtout Where's Poppa (1970) de Carl Reiner. Ruth Gordon y incarne une « jewish momma » que l'on s'efforce en vain de faire disparaître... Puis c'est l'étonnant succès de Harold et Maude de Hal Ashby (1971). Ruth Gordon y incarne une dame également indestructible, à la forme extraordinaire, devenant le « gourou » d'un candidat au suicide. Elle infléchit son interprétation une fois encore vers l'insolite, la malignité quasi diabolique...

La comédienne aura été, durant cette très longue carrière, l'image même d'un dilettantisme de bon aloi – luxe suprême du professionnalisme à l'américaine. Le festival de Deauville 1985 présenta son dernier film, Maxie, dans lequel elle incarne une ancienne « flapper » des années 1920 – une de ces jeunes filles qu'a pu célébrer Francis Scott Fitzgerald...

— André-Charles COHEN

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