Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RWANDA 1994 (collectif Groupov)

Le plateau est nu, fermé au fond par un immense panneau rougeoyant qui s'ouvre et se ferme comme des portes de l'enfer. Sur le côté, un petit orchestre. Au milieu, juste une chaise. Une femme vient s'asseoir. Elle s'appelle Yolande Mukagasana. Elle est infirmière. Autrefois, elle vivait à Kigali. Trente minutes durant, elle raconte l'horreur du massacre dont ses enfants et son mari, Tutsi comme elle, furent les victimes en 1994.

C'est Rwanda 1994, un « spectacle témoignage », qui en cinq heures de durée et quatre parties (le récit de Yolande Mukagasana n'en est que la première) vient mettre la tragédie d'un pays à l'épreuve de la scène. Un spectacle événement, créé à l'enseigne du collectif Groupov par Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard avec une distribution réunissant acteurs, chanteurs, récitants, musiciens belges et rwandais. Présenté d'abord en cours d'élaboration lors du festival d'Avignon 1999, Rwanda 1994 a été créé à Liège en avril 2000, avant d'être présenté en 2001 au théâtre de Rungis, puis à Genève, Rouen et enfin au Rwanda.

Poursuivant une démarche commencée il y a une dizaine d'années à travers la mise en scène d'auteurs « classiques » (Claudel avec L'Annonce faite à Marie, Brecht avec La Mère) et contemporains (Trash, a lonelyplayer de Marie-France Collard, qui cosigne également Rwanda 1994), Jacques Delcuvellerie pose « la question de la souffrance humaine par l'affirmation d'une vérité ». La prise de conscience doit s'opérer par le biais d'un spectacle total, fruit de quatre années d'enquête, de recherche, d'élaboration, qui se veut une « tentative de réparation symbolique envers les morts, à l'usage des vivants ».

Au fil des séquences, tous les genres, tous les modes de représentation possibles d'un événement s'entrechoquent ou se succèdent. Parole directe (celle de Yolande Mukagasana) ou plus sophistiquée (le récit sous forme de cantate des derniers jours de Bisesero, village assiégé par les Hutu, que les casques bleus ne viendront pas défendre) ; fiction (l'enquête menée par une journaliste pour connaître la vérité) et masques ou marionnettes qui font résonner la parole des Blancs, Européens moyens ou responsables à la bonne conscience cynique… ; conférence, avec la présentation très pédagogique par Jacques Delcuvellerie lui-même, de l'état du Rwanda, des Hutu, des Tutsi depuis l'arrivée des Blancs ; mise en accusation directe des responsables des tueries réfugiés en Europe.

La musique et le chant sont présents – occidentaux ou africains, contemporains ou traditionnels. La vidéo de même. Ici, lors d'un débat imaginaire, ce sont les visages d'Africains, morts « en colère », qui apparaissent, tels des fantômes projetés sur grand écran. Là, c'est l'interview au journal télévisé d'un responsable de la Fondation des droits de l'homme avertissant Bruno Masure de l'imminence du génocide dès janvier 1993 ; plus loin défilent les images à la limite du soutenable de cadavres et de charniers, huit minutes d'un reportage muet que les responsables de chaînes de télévision refusèrent à l'époque de diffuser.

Fondés sur une dialectique rigoureuse, le faux et le réel se renvoient sans cesse l'un à l'autre, s'éclairant, se confortant mutuellement au gré d'une représentation protéiforme. Théâtre vérité ? de fiction ? de reconstitution ? Mieux vaut parler ici d'intrusion de la réalité par le biais du récit vécu et des documents d'archives. Ou plutôt d'un tricotage savant et serré entre ce qui est inventé et ce qui a priori ne l'est pas, conduisant à la mise en abîme du théâtre.

De la séquence de témoignage de Yolande Mukagasana[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification