SABBATAI TSEVI (1626-1676)
Le mouvement messianique qui s'est manifesté au xviie siècle autour du nom de Sabbatai Tsevi est le plus important qu'ait connu le judaïsme depuis la destruction du Temple de Jérusalem et la révolte de Bar Kokhba. C'est d'ailleurs pratiquement le seul qui ait eu cette ampleur universelle. Un événement si grave a eu forcément un retentissement profond sur l'idée que le judaïsme se fait de la venue du messie. L'ébranlement qui en résulta gagna toutes les communautés et secoua toutes les couches sociales de la population juive.
Une telle crise n'a pu se produire que par la conjonction de facteurs externes et de causes internes. Pour les premiers, Gershom Scholem, qui a consacré une partie de sa vie à rassembler des documents relatifs à la doctrine de Sabbatai Tsevi et de ses disciples, voit dans leur expulsion d'Espagne en 1492 l'événement qui a suscité chez les juifs une interrogation nouvelle et radicale sur leur destinée et sur leur avenir. L'instabilité chronique de leurs communautés s'était accrue à l'occasion des massacres perpétrés en 1648 en Russie et en Pologne par l'ataman Bogdan Chmielnicki lors de la révolte des Cosaques contre le pouvoir polonais. Quant aux raisons internes de la crise, elles s'enracinent dans le développement intense de la mystique juive à la suite des idées propagées par les milieux imprégnés de la Kabbale d'Isaac Louria (1534-1572) de Safed. Ce courant religieux se fonde sur l'expérience de l'exil d'Israël parmi les nations ; l'exil est élevé au rang de catégorie métaphysique : il est l'image de l'inaccomplissement de la condition humaine dès la création. La sensation de l'exil provoquait une conscience vive de la présence divine ( shekina) et la rédemption était perçue comme devant se manifester sans tarder dans le monde présent.
Différents cercles de mystiques initiés à la Kabbale des lettres avaient même annoncé depuis quelque temps les événements libérateurs espérés pour les années 1648 et 1666. Le nombre 666 – celui de Néron César en hébreu – mentionné dans l'Apocalypse (XIII, 18) et par le millénarisme juif des écrits intertestamentaires servira aussi de référence ultérieure, bien qu'il n'ait joué aucun rôle, semble-t-il, au début du mouvement. C'est, de fait, en 1665 à Gaza, que Nathan Ashkenazi, dit Nathan de Gaza, proclama officiellement Sabbatai Tsevi comme le messie attendu en appliquant à sa personne les titres et les critères élaborés par certains des disciples d'Isaac Louria.
Sabbatai Tsevi et Nathan de Gaza
La figure personnelle de Sabbatai Tsevi n'avait en elle-même rien de particulièrement exaltant ; elle est insolite et même plutôt déroutante. Sabbatai est né, dans une famille de riches marchands, à Smyrne, en 1626, un 9 Av, jour anniversaire de la destruction du Temple (à moins que cette donnée n'ait été retouchée pour coïncider avec ce critère talmudique de la naissance du messie à venir), et un jour de sabbat (d'où son nom prédestiné, l'anthroponyme Tsevi signifiant « le cerf », par référence à la terre d'Israël). Présentant, selon Scholem, des symptômes maniaco-dépressifs, il semble avoir été plus profondément affecté que quiconque par la nouvelle des massacres de Chmielnicki ; et la tradition veut qu'à cette occasion il ait prononcé explicitement le Nom divin. Grand et bel homme, élégant, doué d'une très belle voix, il réunit dès cette époque un groupe de disciples auxquels il fit part de révélations qu'il avait eues concernant le « mystère de la divinité ». Mais, en raison de ses prétentions messianiques, il fut chassé de la ville par son maître, le rabbin de Smyrne. Il accomplit alors, pour accréditer sa mission céleste, des « actes étranges » : ainsi, en 1658, à Salonique, il célébra rituellement ses épousailles avec la Tōrah, ce[...]
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Écrit par
- Bernard DUPUY
: directeur du Centre d'études Istina et de la revue
Istina
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