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SABBATAI TSEVI (1626-1676)

L'apostasie du messie

Précédé par sa propre réputation, revêtu d'habits royaux, Sabbatai Tsevi entreprit un voyage à Alep et à Smyrne avant de se rendre à Constantinople. Sa troupe jeûnait, chantait dans les synagogues, lui-même mêlant à la grâce de son chant l'accomplissement messianique d'« actes étranges », comme de prononcer le Nom divin, de manger non kasher, de proférer certaines paroles ou d'adopter des attitudes déroutantes. Le peuple qui assistait à ces événements se partagea entre « croyants » (maaminim) et infidèles (kofrim). De nombreuses personnalités se rallièrent au mouvement. La conversion des rabbins initialement hostiles de Smyrne engendra une telle agitation que le pouvoir turc jugea nécessaire d'intercepter Sabbatai Tsevi au cours de sa traversée en direction de Constantinople. Le grand vizir, cependant, temporisa et, soit pour le contraindre, soit pour le protéger, l'interna à la forteresse de Gallipoli le 19 avril 1666, veille de la Pâque. Sabbatai Tsevi célébra cette fête en accomplissant le sacrifice pascal selon le rituel de l'époque du Temple et en invitant ses compagnons à consommer l'agneau pascal comme une « nourriture interdite » avec la bénédiction « qui libère des interdits ». Le lieu de sa détention reçut le nom de Migdal Oz (la « Tour du courage ») par référence avec le livre des Proverbes (xviii, 10).

Le temps des souffrances annoncé parut arrivé et la ferveur des disciples était soutenue par les missives envoyées de Palestine par Nathan de Gaza. Il n'y eut guère alors que deux rabbins à s'opposer au mouvement, Rabbi Joseph Halevy, de Livourne, et Rabbi Jacob Sasportas, rabbin marocain en séjour à Hambourg. Celui-ci, qui sera par la suite le grand contestataire, aurait même eu réellement, selon Gershom Scholem, un moment d'hésitation. Les juifs du monde entier jeûnaient, se pressaient aux bains rituels, organisaient des processions, tandis que le prisonnier adressait des messages au peuple d'Israël, signés de l'« amant de la Tōrah » ou du « fils premier-né de Dieu ».

Un tribunal rabbinique, composé des quatre rabbins principaux de Constantinople, Jérusalem, Safed et Hébron, siégea sans prendre de décision. Des autorités rabbiniques commencèrent à venir du monde entier rendre visite à Sabbatai Tsevi. Le dénouement vint d'où on ne l'attendait pas. Bien que Sabbatai eût affirmé que le messie fils de Joseph, dont la venue doit précéder celle du messie fils de David, s'était manifesté en 1648 lors des massacres de Chmielnicki, un débat s'était ouvert en Pologne à ce sujet. Un kabbaliste de Lvov, Nehemiah Ha-Cohen, se présenta en septembre 1666 à Sabbatai Tsevi comme étant ce « messie fils de Joseph ». Mais le messie fils de David, dans sa prison, ne reconnut pas en son visiteur le messie fils de Joseph dont il avait parlé. L'entrevue fut terrible. Nehemiah dénonça Sabbatai devant ses gardiens turcs comme faux messie et l'accusa de conduites immorales. Puis il se rendit aux gardes en déclarant vouloir se faire musulman. Les deux détenus furent transférés à Andrinople, où Kasim Pasha, haut fonctionnaire ottoman et futur gendre du sultan Mehmed IV, prit l'affaire en main, avec l'aide d'un juif apostat, médecin du sultan. Il mit Sabbatai Tsevi devant le choix de ceindre le turban ou de mourir. Sabbatai Tsevi décida de se faire musulman, prit le nom d'Aziz Mehmed Effendi, fut libéré et nommé « gardien du palais » avec une pension royale, le 15 septembre 1666. Ses compagnons et son épouse le suivirent dans sa conversion.

La nouvelle de l'apostasie du messie créa dans le monde juif le choc le plus inouï qu'on puisse imaginer en pleine crise de ferveur messianique. Beaucoup refusèrent d'abord d'y croire. Mais quand les informations succédèrent à la rumeur et qu'il[...]

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Écrit par

  • : directeur du Centre d'études Istina et de la revue Istina

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