SACREMENTS
La théurgie païenne
Si on l'abstrait du contexte théologique dans lequel elle s'est développée pendant les derniers siècles du paganisme antique, la notion de théurgie rejoint celle de sacrement. C'est une structure élémentaire de la vie religieuse, et, comme telle, elle peut s'insérer dans des ensembles hétérogènes. Car, conformément à l'étymologie (théou-ourgia), elle se définit comme une action divine dont l'homme est l'instrument et le bénéficiaire. Elle implique la mise en œuvre d'un signe sensible (invocation, geste, manipulation d'objet) qui effectue ce qu'il symbolise. Au ive siècle de l'ère chrétienne, Jamblique précise, dans le livre II de son traité Des mystères d'Égypte, que ces signes « accomplissent par eux-mêmes leur œuvre propre », en demandant seulement au fidèle un minimum de disponibilité. L'opération divine n'est pas mesurée par la connaissance qu'en a le fidèle, ni même par sa ferveur. La théurgie est donc un symbolisme opératoire destiné à éveiller la présence et la puissance divines. Elle préfigure l'efficacité ex opere operato des sacrements chrétiens.
D'ailleurs, théurgie et sacrements répondent à un même problème. Si d'une part Dieu est transcendant et essentiellement mystérieux, et si d'autre part il se communique et divinise l'homme de quelque façon, cette communion ne peut se réaliser uniquement dans l'intelligence humaine, même éclairée par Dieu, car la plus profonde pensée ne saisit que des relations et n'atteint pas l'absolu comme tel. Le christianisme enseigne que la foi à la révélation divine ne suffit pas à la régénération si elle n'est vivifiée par la pratique sacramentelle et surtout par la charité. De son côté, l'école néo-platonicienne (iiie-vie s. apr. J.-C.) professait que la perfection consiste dans l'union mystique à la divinité ineffable, alors que la pensée ne s'élève pas au-delà de la théologie négative : elle sait seulement ce que Dieu n'est pas. C'est pourquoi cette école en était venue à combler par l'art théurgique le vide ainsi creusé entre la contemplation et l'« extase ». Cet art devait réveiller chez l'initié non plus la sagesse, mais une sorte d'ivresse divine, non plus la visée d'une vérité distincte, mais la coïncidence avec l'Ineffable. Les prodiges et l'exaltation dionysiaque n'étaient pas exclus, mais on aurait tort d'y voir l'essentiel de la mystique néo-platonicienne. Ce n'étaient que des manifestations superficielles d'une communication plus originelle que toute expression. Au ve siècle, le biographe de Proclos, Marinos, loue son maître d'avoir pratiqué, au-delà des vertus contemplatives, les vertus théurgiques, appelées encore « vertus hiératiques ».
Dans ce dernier cas comme dans celui des sacrements, il s'agit d'employer un procédé plus radical que la pensée pour une conversion plus radicale que celle du contemplatif. On voudrait rejoindre la divinité au foyer même de sa clarté. « Ce que l'homme ne peut comprendre totalement, écrivait Maurice Blondel dans Histoire et dogme, il peut le faire pleinement, et c'est en le faisant qu'il entretiendra vivante en lui la conscience de cette réalité encore à demi obscure pour lui. »
Le paganisme, n'ayant pas eu d'autorité doctrinale comme le catholicisme, s'est dispersé en une multitude de croyances et de rites. La théurgie n'a pas échappé à cette prolifération, et il ne peut être question ici d'en exposer les minutieuses pratiques. Il est plus important de chercher comment les esprits les plus avertis de l'époque tentaient de les justifier.
Le meilleur traité théologique de la théurgie est l'ouvrage de Jamblique déjà cité. La référence[...]
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Écrit par
- Louis-Marie CHAUVET : maître de conférences à l'Institut catholique de Paris
- Jean TROUILLARD : professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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