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SACRIFICE

La nature du sacrifice

Au lieu de chercher l'unité du sacrifice dans un point de départ bien hypothétique, car on ne sait rien des origines, ne vaudrait-il pas mieux la chercher, par exemple avec H. Hubert et M.  Mauss, dans le mécanisme même de la cérémonie ? Le sacrifice est avant tout une consécration : l'homme et le divin ne sont pas en contact direct, il faut un intermédiaire entre eux pour qu'ils puissent communiquer. C'est aussi une offrande, mais ce n'est pas une offrande ordinaire ; dans l'oblation, l'objet reste intact ; dans le sacrifice, il est détruit : « Le sacrifice est un acte religieux qui, par la consécration d'une victime, modifie l'état de la personne morale qui l'accomplit ou de certains objets (par exemple, la maison quand on enterre une victime dans ses fondations) qui l'intéressent. » On trouve donc d'abord des rites d'entrée : le sacrifiant est dépouillé de son être profane, il est purifié ; le lieu, les instruments sont sacralisés ; la victime est consacrée par des lustrations et mise en contact avec le sacrifiant. Puis vient l'immolation de la victime ; le corps détruit est alors mis en rapport, suivant le cas, avec le monde sacré (rites expiatoires) ou avec le monde profane (communion alimentaire), c'est-à-dire avec les êtres qui doivent profiter du sacrifice. Enfin, les rites de sortie permettent au sacrifiant de revenir au monde profane, qui en est désormais métamorphosé. Ce schéma ne changerait jamais, mais, selon la fin recherchée, les diverses parties prennent des développements différents ; dans les sacrifices d'ordination, les rites d'entrée sont les plus nombreux ; dans l'expiation, ce sont les rites de sortie. Cette théorie repose sur la distinction durkeimienne entre le sacré et le profane ; on comprend dans ces conditions que, pour pouvoir établir un contact entre les deux, un intermédiaire soit nécessaire et que cet intermédiaire doive être détruit, car le sacré est extrêmement contagieux et cette contagion est dangereuse : « Si le sacrifiant s'engageait jusqu'au bout dans le rite, il y trouverait la mort et non la vie. La victime le remplace. Elle seule pénètre dans la sphère dangereuse du sacrifice, elle y succombe... Le sacrifiant reste à l'abri. La victime le rachète. »

Mais justement peut-on accepter cette opposition entre le sacré et le profane dont parle Mauss ? Comme le signale G. Gusdorf, le sacrifice primitif se déroule dans un monde où le sacré (mana) n'est pas séparé du profane, où il est diffus partout ; par conséquent, le sacrifice est plutôt une manipulation du sacré pour concentrer cette énergie dans une chose ou un animal, au profit de l'homme ou de sa société. Si l'on suivait Hubert et Mauss jusqu'au bout, on aboutirait à faire du sacrifice un sacrilège, ou bien encore un rite plus magique à proprement parler que religieux. J.  Cazeneuve n'accepte pas deux conséquences. D'abord, il se refuse à chercher l'unité dans une simple variation des séquences rituelles ; il distingue un sacrifice-consécration et un sacrifice-communion. Dans le premier, la mise à mort de la victime n'est qu'un moyen pour l'homme de montrer qu'il pose sa condition comme ne se suffisant pas à elle-même ; il fait une oblation totale aux esprits ou aux dieux pour rendre cela manifeste, en détruisant la victime qu'il leur consacre ; on est donc à l'antipode du sacrilège. Dans le sacrifice-communion, la participation de l'humain et du divin se réalise sur le modèle de la parenté artificielle ou de l'alliance par le sang : on absorbe le principe numineux qui s'est incarné dans la victime, en même temps que l'on fonde la solidarité des hommes entre eux, car tous se sont unis en consommant le même principe sacré. L'unité des[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-I

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Monument aux bourgeois de Calais, A. Rodin

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