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ṢADRĀ SHĪRĀZĪ (1572-1640)

Une métaphysique de l'acte d'exister

L'esquisse de bibliographie consacrée à Ṣadrā Shīrāzī par Henry Corbin comporte en tout quarante-deux titres, plus onze ouvrages d'attribution incertaine. Deux ouvrages peuvent aider à situer d'emblée Mollā Ṣadrā comme philosophe : un commentaire d'Avicenne (Gloses sur la métaphysique du Shīfā d'Avicenne) et un commentaire de Sohrawardī (Gloses sur le Livre de la théosophie orientale de Sohrawardī). À l'influence de ces deux maîtres il faut ajouter également celle d'Ibn ‘Arabī. Mais, qu'il lise Avicenne ou Sohrawardī, Mollā Ṣadrā inverse la visée traditionnelle d'une métaphysique qui affirmait la primauté de l'essence par rapport à l' existence. À l'encontre de la métaphysique des essences héritée d'al-Fārābī et d'Avicenne, il pose une métaphysique de l' être, à l'intérieur de laquelle aucune essence ne sera déterminée indépendamment de son acte d'exister. C'est cette primauté de l'acte d'exister sur la quiddité, sur l'essence, qui commande toute la structure du système.

Déterminée par son acte d'être (wujūd), l'essence, en effet, ne saurait être immuable ; elle connaît même des périodes d'intensification et des périodes d'affaiblissement. L'univers de Mollā Ṣadrā est un univers où les essences ne cessent de se transformer, traversant toute une série de métamorphoses ; par opposition à l'univers traditionnel des essences immuables, il révèle une mobilité, une « in-quiétude » fondamentale de l'être. Il est ainsi un monde en transformation, mais aussi « en ascension ». Les étapes mêmes de cette ascension coïncident avec des plans d'univers bien définis. Il y a d'abord un « élan ascensionnel » depuis les éléments et les minéraux, élan qui s'épanouit dans l'homme, tel qu'il existe sous sa forme terrestre. Mais l'être humain lui-même n'est qu'un « seuil », à partir duquel cette ascension du monde va se poursuivre, à travers lequel elle atteindra à des formes supérieures, dans d'autres plans d'univers.

L'homme étant constitué, selon l'anthropologie traditionnelle, par le corps, l'âme et l'esprit, son ascension se fera à trois niveaux d'univers : ce monde-ci, l'intermonde, l'outre-monde. Si la naissance est «   résurrection » de l'homme au monde sensible, la mort est une deuxième résurrection, la résurrection mineure, à l'intermonde de l'âme. Mais la véritable résurrection, c'est la résurrection majeure, la naissance à l'outre-monde, laquelle donne accès à un plan d'univers qui est celui de l'homme psychique, spirituel. En ce sens, la métaphysique de Mollā Ṣadrā est liée très étroitement au thème de la résurrection, comme elle l'est, d'autre part, à une philosophie de la perception imaginative ; en effet, les trois organes de la connaissance : les sens, l'imagination, l'intellect, correspondent très exactement à la triade anthropologique « qui règle la triple croissance de l'homme depuis ce monde-ci jusqu'aux autres mondes ». L'imagination est ainsi un des organes non seulement de la connaissance, mais de la perception, d'une perception exactement adéquate au monde qui lui est propre. Mollā Ṣadrā est d'ailleurs le premier à avoir fait de l'imagination une faculté non organique, purement spirituelle. On retrouve ici son option métaphysique : la coïncidence de l'exister et de l'essence implique rigoureusement l'unité du sujet de la perception et de l'objet de la perception, à chacun des trois degrés de la triade.

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