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SAGAS (anonyme) Fiche de lecture

L'Islande médiévale a conçu, autour du xiiie siècle, un type de récit en prose, les sagas, qui n'a aucun équivalent en Occident et que l'on peut, à bien des égards, tenir pour l'ancêtre de notre roman moderne. Tout y est original, le style d'abord, le genre de personnages et les péripéties ensuite, sans parler d'une vision du monde et de l'homme qui demeure exemplaire.

Genèse et diversité des sagas

Parce qu'ils avaient la passion de l'Histoire et une fois dotés (après l'an mille) d'une écriture apportée par l'Église, parce qu'ils entendaient aussi célébrer le culte de la famille et de la loi, deux valeurs sacrées, les Islandais entreprirent de composer des manières de biographies qu'ils appelèrent sögur (au singulier saga) : ce sont des textes en prose, éventuellement agrémentés de strophes scaldiques, c'est-à-dire issues de la poésie orale scandinave, qui ne sauraient en aucun cas être pris pour des adaptations païennes de textes religieux. La genèse du genre, après avoir fait l'objet de maintes controverses, est maintenant établie : si elle renvoie sans doute à une tradition immémoriale du conte, la preuve est faite qu'elle a consisté en une imitation appliquée, d'abord de l'historiographie classique en latin (Salluste par exemple), puis de l'hagiographie médiévale également en latin (les Vies des saints ont été traduites très tôt en vieux norois), le tout sur fond de récits bibliques librement adaptés. Il s'agissait de relater la vie d'un individu, de sa naissance à sa mort, en insistant sur les temps forts de son existence. Il semble qu'un formidable mouvement d'écriture – à l'échelle de cette petite communauté – se soit manifesté à partir de 1150 environ pour durer deux bons siècles. Les auteurs sont à peu près tous anonymes : il s'agit de clercs ou d'hommes ayant reçu une éducation cléricale, qui pratiquent le principe d'intertextualité avec une remarquable constance.

L'usage tout à fait actuel est de distinguer cinq catégories de sagas selon le type de sujet qu'elles traitent. Il y aurait d'abord les sagas royales ou konungasögur, qui s'intéressent aux grands rois de Norvège (d'où venaient principalement les colonisateurs de l'Islande) ou du Danemark. L'ancienne royauté germanique réputée sacrée a pu influer sur ce choix. Le fleuron du genre est la Heimskringla de Snorri Sturluson (1179-1241) qui nous parle, notamment, de saint Olafr et de ses exploits guerriers : « Alors qu'Olafr était en Irlande, il se trouva dans quelque expédition guerrière, et ils étaient en bateau. Quand ils avaient besoin de faire une descente, ils débarquaient et chassaient vers le rivage quantité de bétail. » Mais les plus connues, les plus belles aussi, sont les sagas dites des Islandais (islendingasögur) qui dépeignent les heurs et malheurs de grands ancêtres ayant vécu en Islande au xe siècle. S'inscrivent ici la Saga du scalde Egill, fils de Grimr le Chauve, celle de Snorri le Godi, celle des Habitants du Val-au-Saumon, celle de Grettir le Fort et, joyau s'il en est, la Saga de Njáll le Brûlé.

Parallèlement, les auteurs ou sagnamenn adaptent à leur mode d'écriture des légendes de toutes sortes venues d'un peu partout en Occident : ce sont les sagas légendaires ou des temps antiques (fornaldarsögur) dont le joyau reste la Saga des Völsungar qui met en scène le grand héros Sigurdr, meurtrier du dragon Fafnir : « Ne sera pas homme plus noble/ Sur la face de la terre,/ Sous le séjour du soleil/ Que tu ne le seras, Sigurdr. » D'autre part, les sagas des chevaliers (riddarasögur) restituent à leur manière les romans courtois de Chrétien de Troyes (Parcevals Saga), les chansons de geste (Karlamagnuss Saga) et les cycles bretons[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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