SAGAS
Freiprosa ou Buchprosa ?
Quant à déterminer la genèse précise des sagas en dehors de ce qui a été avancé plus haut, diverses théories s'affrontent, entre lesquelles il semble difficile de trancher d'autorité. On en retiendra deux. La première repose sur la permanence – depuis les temps germaniques anciens – d'une tradition orale très vivante ; cette tradition aurait d'abord conduit à l'élaboration d'une poésie eddique, puis scaldique, qu'à une période plus récente les auteurs de sagas ou sagnamenn auraient cherché à présenter et à faire valoir en la dotant d'un contexte explicatif en prose. Ou bien cette tradition orale aurait abouti, dans un premier temps, à la rédaction de récits très brefs, les aettir, eux-mêmes peut-être issus des généalogies, selon le schéma suivant, clairement illustré par le Landnámabók ou Livre de la colonisation de l'Islande : a) généalogie, b) petite anecdote ou détail mémorable à propos d'un des membres de la famille envisagée → développement de ce détail sous forme de attr indépendant → mise en forme complète : saga. Ainsi, au départ, il y aurait eu la tradition. La seconde théorie fait naître la littérature de sagas d'une imitation consciente, d'une sorte d'imprégnation profonde des écrits latins de toutes sortes transmis par l'Église ; les vitae auraient donné lieu à des adaptations islandaises, puis à un passage progressif au plan profane, les chefs remplaçant les saints et les évêques, selon une évolution identique à celle qui présida, dans l'Occident médiéval, à la naissance du théâtre. Le schéma serait donc : vita latine → vita d'un saint local (évêque islandais ou roi norvégien comme saint Olaf) → vita d'un héros, d'un chef ou d'un ancêtre illustre : saga. Le plan serait le même, l'esprit assez identique (présenter une vie exemplaire à des fins de moralisation) et le mode de narration plus ou moins rapproché. Cette dernière théorie selon laquelle, au départ, il y aurait eu l'Église et ses clercs semble plus séduisante en raison de l'art extrêmement conscient, de la science de la composition, de la maîtrise du récit et de l'assimilation parfaite des principes de la rhétorique narrative que manifestent les sagas. Elle n'exclut d'ailleurs pas la première en ce sens qu'une fois dotés d'un art d'écrire et ayant maîtrisé un certain type de narration, rien n'interdisait aux sagnamenn d'introduire dans leurs histoires des réminiscences vagues, des souvenirs familiaux et des traditions chères, qui font des sagas d'inépuisables mines de détails sur le paganisme nordique et d'irrécusables témoins de la mentalité nordique ancienne.
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Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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