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SAHARA

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Géographie humaine et économique

Un territoire structuré par un millénaire d'échanges transsahariens

L'organisation territoriale du Sahara s'ancre dans une histoire qui, il y a plus d'un millénaire, en a façonné les caractéristiques essentielles avec le commerce transsaharien. Celui-ci a investi cet espace à la fin du viie siècle et l'a structuré jusqu'à son déclin au xviiie siècle. Auparavant, le Sahara fut, durant les millénaires qui ont suivi son aridification, un espace peu habité. Les oasis y étaient très peu nombreuses et limitées à la frange septentrionale.

À partir du viie siècle, avec la conquête arabe du Maghreb, des échanges commerciaux s'organisent entre les deux rives du Sahara : la Méditerranée au nord et le « Soudan » au sud (« Soudan » signifie « le pays des noirs » en arabe et correspond globalement à l'Afrique de l'Ouest). Pendant dix siècles, ce commerce anime le Sahara. Il porte essentiellement sur l'or et les esclaves, transportés par voie terrestre depuis le Sud vers les métropoles nord-africaines. Ces échanges d'une grande intensité, s'opérant à travers un espace aride et désert large de 2 000 kilomètres, imposent l'organisation d'un maillage territorial. Celui-ci consiste surtout en l'érection de « cités portes du désert » au départ d'itinéraires méridiens nombreux qui ont changé au fil du temps, et consiste également à créer des oasis relais le long de ces itinéraires. À l'exception de quelques rares « portes du désert » qui préexistent à ce commerce et lui servent ensuite de point d'appui (Biskra ou Ghadamès, par exemple), la quasi-totalité des oasis sont fondées dans le cadre de ce mouvement commercial, ce que confirment leurs dates de création, situées essentiellement du viiie au xvie siècle. Aussi, l'oasis n'est pas tant un système hydro-agricole qu'un nœud dans le système relationnel du commerce transsaharien, même si sa fonction de relais implique également une production agricole ainsi que la présence d'eau.

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Les échanges sont donc à l'origine de l'oasis et de l'urbanisation du Sahara ainsi que des nombreuses spécificités de cet espace. Les plus importantes d'entre elles sont l'existence de populations relativement importantes et très diverses, et de villes nombreuses dans un environnement hostile qui a été transformé grâce au travail d'esclaves importés (creusement de foggaras [galeries d'eau souterraines] et de puits artésiens, aménagement et entretien d'oasis). Cette spécificité fait du Sahara, d'un point de vue humain, non pas une étendue territoriale, mais un réseau de routes ou de pistes, dont les croisements ou les jalons sont les oasis. Ainsi, la ville saharienne commande non pas un espace environnant, mais un carrefour de routes. De plus, la fonction de relais donne une spécificité structurelle à la ville saharienne – l'oasis –, à savoir l'association d'une ville et d'un terroir agricole. Cette fonction se confirme lorsque la concurrence des nouvelles routes maritimes finit par ruiner le commerce transsaharien : les cités-oasis voient leurs populations stagner, puis diminuer. Ainsi, lorsque l'explorateur allemand Heinrich Barth, premier Européen à y séjourner, arrive en 1850 à Agadez, il trouve un îlot de misère avec une population de seulement 3 000 habitants.

Quant à la population, d'une grande diversité du fait de la fonction de transit et d'échanges, notamment dans les grandes cités-oasis, elle peut être répartie en trois grands groupes ethnolinguistiques dominants. Tout d'abord, la présence de populations de langues négro-africaines est surtout liée à l'extension des empires africains médiévaux (empires du Mali, du Ghana...) ainsi qu'à l'asservissement de populations africaines au cœur du Sahara. Les descendants affranchis de ces dernières, appelés Harratin, toujours victimes de ségrégation, sont encore nombreux, notamment en Mauritanie et, dans une moindre mesure, dans le Sud marocain, algérien et libyen. Les populations Toubou, localisées dans le Sud libyen et dans le Nord tchadien, sont une autre composante de ce groupe. Ensuite, le deuxième groupe est celui des berbérophones, en recul au Sahara. Ces derniers sont présents dans de nombreuses oasis du Sahara septentrional, mais ils y sont minoritaires. On peut noter toutefois quelques exceptions, comme dans l'oasis du Mzab, au nord-est du Sahara algérien. Le Mzab forme un îlot berbérophone de plus de 200 000 habitants (2010), dont la pérennité s'explique par son recoupement avec un schisme religieux, l'ibadisme, alors que 99 p. 100 des Maghrébins sont sunnites. La plus grande zone de peuplement berbère se trouve au centre et au sud du Sahara, de Ghadamès au nord-ouest de la Libye jusqu'à l'Azawad malien en passant par l'Aïr nigérien et le Hoggar algérien. Elle déborde, hors du Sahara, au Burkina Faso et dans la région de Zinder au Niger. Si cette zone est historiquement celle des parcours des Touaregs, ces derniers l'ont toujours partagée avec les populations de langue négro-africaine et celles de langue arabe. Ces dernières, les plus importantes, forment enfin le troisième groupe ethnolinguistique. L'arabisation progressive du Sahara a été précédée de son islamisation, dont le commerce transsaharien a été le vecteur. Elle s'affirme au fur et à mesure de la densification de ce commerce. Les Maures – nomades berbères centrés sur la Mauritanie et le Sahara occidental et débordant sur le Sahara algérien, marocain et malien – sont un exemple de populations berbères arabisées. L'épopée almoravide (xi-xiie siècle), partie du Sahara mauritanien, achève l'islamisation du Sahara. La deuxième invasion arabe, celle des Banū Hilāl (xiie siècle), assoit la langue arabe. Celle-ci, devenue majoritaire, continue à progresser ; elle se heurte toutefois aux deux socles berbères (touareg et mozabite). Mais, en définitive, cette multiplicité des origines, renforcée par le brassage et le métissage, donne aux villes sahariennes leur caractère cosmopolite.

Par ailleurs, la diversité des populations sahariennes étant fortement liée à leur fonction de transit et d'échanges, elle s'exprime également dans une triple association regroupant des nomades-convoyeurs, avec une activité pastorale en appoint (schématiquement, ces nomades se répartissent entre Maures dans l'ouest du Sahara, Touaregs dans le centre et Toubou dans l'est), des paysans des terroirs agricoles oasiens – souvent des esclaves ou des affranchis tributaires –, et, enfin, des citadins des villes-oasis qui, à côté des marchands, exercent une grande diversité de métiers urbains et de fonctions culturelles et politiques. Cette spécialisation fonctionnelle est très poussée dans les grandes cités qui, à l'image d'Agadez au xve siècle, abritent une population de plus de 50 000 habitants et sont souvent le siège de sultanats très prospères.

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Ainsi, le commerce transsaharien assure, pendant plus d'un millénaire, une permanence de l'urbanisation au Sahara, même lorsqu'elle connaît une régression au nord du Maghreb. Cet héritage servira d'ancrage et de point d'appui à la colonisation puis aux nouveaux États indépendants qui vont transformer ces villes en centres de contrôle.

Le Sahara, un espace en forte croissance démographique et urbaine

La population du Sahara s'élève à près de 15 millions d'habitants (2012) pour 8,5 millions de kilomètres carrés. Si l'occupation humaine est ponctuelle et la densité très faible (moins de 2 habitants au kilomètre carré), le Sahara connaît pourtant une exceptionnelle croissance démographique et urbaine, notamment depuis les indépendances nationales dans les années 1960. Celle-ci est plus importante que dans les pays de son pourtour. Elle fait du Sahara un espace où la majorité des habitants sont urbains et vivent essentiellement dans des villes de plus de 100 000 habitants.

Le Sahara connaît, dans les années 1960, à partir des indépendances nationales qui ont coïncidé avec l'exploitation des ressources minières (pétrole, fer, phosphate, uranium), un renversement de tendance : il cesse d'être une terre de répulsion. Ainsi, la population du Sahara français (excluant le Rio de Oro et la Libye) passe de 1,7 million d'habitants en 1948 à 4 millions dans les années 1980, tandis que celle de tout le Sahara atteint 10 millions d'habitants dès le milieu des années 1990. Le Sahara algérien compte à lui seul 3,57 millions d'habitants en 2008, soit plus du double de la population du Sahara en 1948. Durant la période intercensitaire de 1966-1977, le Sahara algérien a un taux d'accroissement annuel moyen largement supérieur aux régions du nord (3,1 p. 100 contre 2,2 p. 100), lequel perdure dans la décennie 1998-2008, malgré l'essoufflement de cette croissance (2,5 p. 100 contre 1,5 p. 100).

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Cette croissance démographique exceptionnelle n'est cependant pas homogène. Elle touche plus fortement la partie septentrionale du Sahara. Ainsi, la population du Sahara tunisien est multipliée par trois de 1948 à 1995, passant de 350 000 habitants à 1,1 million, alors que celle du Sahara algérien est multipliée par quatre, passant de 625 000 habitants à 2,5 millions. Dans le Sahara libyen, la population stagne jusqu'en 1964 (seulement 70 000 habitants), avant de connaître une croissance fulgurante (elle atteint 400 000 habitants dans les années 1990). Dans la partie méridionale du Sahara, la croissance est moins importante. Tandis qu'au Tchad la population est multipliée par deux et demi, passant de 45 000 habitants en 1948 à 120 000 en 1994, au Niger elle passe seulement de 100 000 habitants en 1948 à 125 000 en 1978 ; néanmoins, la région d'Agadez connaîtra ensuite un fort développement grâce à ses ressources en uranium.

Le renouveau économique du Sahara et ses effets sur l'urbanisation du territoire

La découverte et l'exploitation des ressources minières, à partir des années 1960, sortent les territoires sahariens de leur marginalité et leur confèrent une importance économique et stratégique nouvelle. Les États veulent, dès lors, contrôler ces territoires et les intégrer à leur espace national, d'autant plus que, depuis les indépendances, ils sont tous objets de litiges ou lieux de contestation et sont convoités pour leur profondeur territoriale stratégique.

L'action des États se manifeste surtout par un développement remarquable des infrastructures (routes, aéroports, forages de puits, équipements sociaux et administratifs...) et par des mesures publiques destinées à fixer les populations et à encourager le développement économique. Cette action prend appui sur les villes déjà existantes (Ouargla, Agadez, In Salah ou Koufra) ou créées ex nihilo (Nouakchott, Sebha, Tamanrasset, Laayoune, Zouerat ou Arlit), qui deviennent les pivots de la croissance démographique et économique du Sahara. Celle-ci se conjugue donc avec une urbanisation et une promotion massive et rapide de la ville au Sahara. Ainsi, alors qu'en 1966 le taux d'urbanisation du Sahara algérien n'était que de 24 p. 100 (contre 32 p. 100 pour les régions du nord), il devient largement supérieur à la partie septentrionale en 1986 (56 p. 100 contre 49 p. 100), et l'écart continue de se creuser puisque, en 1998, il atteint 68 p. 100 (contre 57 p. 100) et, en 2008, 80 p. 100 (contre 66 p. 100). Ce phénomène, général au Sahara, atteint même des valeurs extrêmes dans la partie libyenne et au Sahara occidental, avec, respectivement, des taux d'urbanisation de 90 et 95 p. 100.

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Par ailleurs, le processus de croissance démographique et d'urbanisation du Sahara est étroitement lié aux ressources du sous-sol, essentiellement aux hydrocarbures. Ainsi, leur localisation est à l'origine des écarts de croissance entre le nord et le sud du Sahara. En effet, la plupart des gisements se trouvent au Sahara libyen, dans le prolongement du golfe de Syrte, et dans le nord-est du Sahara algérien. L'Algérie et la Libye sont, respectivement, les dixième et onzième exportateurs mondiaux de pétrole –  l'Algérie étant également le sixième exportateur mondial de gaz. Ces ressources représentent, pour les deux pays, près de 98 p. 100 de leurs exportations et de leurs entrées de devises. Dans la partie méridionale du Sahara, l'exploitation du pétrole ne commence qu'à partir des années 2000 en Mauritanie, et seul le Tchad exporte de faibles quantités depuis 2003.

Gisement de pétrole, Hassi Messaoud, Algérie - crédits : Jack Burlot/ Corbis News/ Getty Images

Gisement de pétrole, Hassi Messaoud, Algérie

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Les régions d'exploitation des hydrocarbures, au Sahara septentrional, sont donc les premières à connaître, dès les années 1960, de profondes transformations liées aux retombées de cette activité économique (promotion administrative pour le contrôle territorial, renouveau agricole et développement des échanges et de la circulation). Ces régions sont les pôles actifs de la transformation de l'espace saharien. À partir des infrastructures installées pour l'exploitation du pétrole sont nées des villes nouvelles, telles que In Amenas (province d'Illizi), Hassi R'mel (province de Laghouat) ou Hassi Messaoud (province d'Ouargla) dans le nord-est du Sahara algérien. Ces villes sont passées de quelques centaines d'habitants au milieu des années 1960 à, respectivement, 10 000, 25 000 et près de 50 000 habitants en 2010. Hassi Messaoud a connu un fort développement de ses fonctions urbaines, notamment avec la tertiarisation de son économie, qui ne la distingue plus des autres villes.

Parallèlement aux villes nouvelles créées du fait de l'exploitation des hydrocarbures, la croissance et le dynamisme des anciennes villes sahariennes ont également été affectés par cette exploitation, à l'image de Touggourt et de Ouargla (Algérie), qui servent de base logistique et de base arrière pour les pétroliers. La petite oasis de Touggourt s'est transformée en une métropole de 150 000 habitants qui a absorbé un ensemble de petites oasis rurales. L'exploitation pétrolière a également entraîné la croissance de la ville d'Ouargla, avant même qu'elle ne soit amplifiée par sa promotion administrative en tant que métropole régionale, passant de 6 000 habitants en 1960 à 140 000 en 2008.

Dans la partie méridionale du Sahara, l'exploitation des gisements miniers ( fer et uranium), quoique moins importante que celle des hydrocarbures, a également des effets sur l'urbanisation du territoire. Les sites miniers les plus importants sont le gisement de fer de Kediet ej Jill, dans la région du Tiris Zemmour en Mauritanie, et le gisement d'uranium d'Arlit, dans la région d'Agadez au Niger. Ces régions connaissent un dynamisme démographique et une croissance urbaine qui contrastent avec la relative stagnation de leur environnement. Chacun de ces gisements donne naissance à une ville nouvelle d'importance : Zouérat, fondée en 1961, compte, en 2010, près de 50 000 habitants ; la population d'Arlit, ville fondée en 1969, atteint 120 000 habitants. L'exploitation minière a, elle aussi, des impacts à l'échelle régionale, en particulier sur les centres urbains préexistants comme Agadez, qui sert de base arrière à l'activité minière et dont la population est passée de 5 000 habitants en 1970 à 130 000 en 2012, ou comme Nouadhibou, port mauritanien pour le traitement et l'exportation du minerai qui, avec 130 000 habitants, affirme son rôle de capitale économique de la Mauritanie.

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L'exploitation des ressources du sous-sol, là où elle est importante, a transformé le mode de vie des populations sahariennes, dans la mesure où certaines d'entre elles ont été intégrées dans ces activités. Elle a notamment précipité la monétarisation des économies locales, faisant ainsi bénéficier l'agriculture et l'habitat de ses retombées. Cependant, le recours à des populations extérieures au Sahara, soit pour des raisons de compétences, soit par clientélisme pour favoriser une base ethnico-politique, suscite des mécontentements parmi les populations locales. Ainsi, au Niger, où l'exploitation de l'uranium s'effectue en territoire touareg, la marginalisation de la population locale au profit de populations du sud du pays est une cause des révoltes récurrentes des Touaregs. Les régions sahariennes de l'Algérie connaissent, depuis le début de 2013, un mouvement de contestation parti d'Ouargla : le « Mouvement des chômeurs », qui conteste l'embauche, dans les sites pétroliers, d'Algériens extérieurs à la région.

Le renouveau agricole, la sécheresse et leurs effets sur la population

Au Sahara, l'agriculture a toujours été un sous-produit des relations commerciales transsahariennes, uniquement destiné à alimenter les cités-relais et les caravanes le long des axes méridiens. Peu pratiquée dans cet environnement hostile, l'agriculture a encore plus reculé avec le déclin du commerce transsaharien. Toutefois, l'exploitation pétrolière provoque, directement et indirectement, un important renouveau agricole.

Dans la foulée des prospections pétrolières, des ressources en eau, sans commune mesure avec celles qui sont connues jusqu'alors, sont révélées. Les bassins sédimentaires contenant du pétrole abritent également d'importants aquifères fossiles se trouvant de 1 500 à 2 000 mètres de profondeur. C'est pourquoi le bassin sédimentaire pétrolifère de la dépression du bas Sahara (recouvrant le nord-est du Sahara algérien, le Sud tunisien et le nord-ouest du Sahara libyen), mis au jour en 1948, renferme un des plus puissants aquifères au monde (60 000 milliards de mètres cubes d'eau).

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Ces volumes d'eau alimentent le renouveau agricole, lequel est également porté par le volontarisme d'État. En effet, les États souhaitent en faire un moyen de fixer les populations dans ces espaces stratégiques. Ainsi, en Algérie, le nombre de palmiers-dattiers passe de plus de 5 millions en 1960 à 12 millions en 2000 ; quant à la Tunisie, elle double, dans le même temps, ses surfaces agricoles dans sa partie saharienne. La Libye développe les cultures maraîchères au Sahara en exploitant ses eaux fossiles, notamment avec la mise en œuvre de la Grande Rivière artificielle dans les années 1980-1990. Cependant, la question de la durabilité de ce développement agricole se pose en raison à la fois du caractère fossile des eaux, non renouvelables, et des difficultés d'assainissement engendrées par les importantes masses d'eaux mobilisées. En effet, les eaux usées qui sont rejetées dans le sable ne peuvent rejoindre les nappes phréatiques profondes séparées par des couches imperméables et remontent en surface, étouffant les plantations et inondant l'habitat. Dans la ville d'El Oued, en Algérie, en 2010, 120 000 palmiers sont morts et beaucoup d'habitations ont été détruites.

Les réserves d'eaux dans les nappes profondes représentent un facteur supplémentaire de déséquilibre entre le nord et le sud du Sahara, ce dernier étant moins bien pourvu en aquifères fossiles. Ce déséquilibre se creuse encore en raison des effets de la sécheresse, qui touchent plus fortement les populations du sud du Sahara, lesquelles ont moins accès aux nappes d'eaux profondes. Ces populations sont également fragilisées par la dislocation de leurs anciennes structures sociales et parce que les États, dépourvus de moyens suffisants et de structures solides, ne peuvent leur assurer ni protection ni arbitrage. Ainsi, l'accès à l'eau de ces populations est très inférieur aux besoins minimaux de bien-être humain, ce qui constitue une des principales causes de pauvreté dans les régions méridionales du Sahara.

Agadez, Niger - crédits : Pool Benali/ Sampers/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Agadez, Niger

Le dernier épisode de sécheresse, échelonné sur près de vingt ans (de 1968 à 1986), a eu des effets catastrophiques sur les milieux naturels, l'économie et, bien sûr, les populations (200 000 victimes). Il a provoqué des déplacements transnationaux massifs de populations. Ces réfugiés se sont installés dans les villes sahariennes dont ils ont grossi les effectifs, ou bien se sont retrouvés dans des camps qui finissent par se transformer en villes (Tin Zouatine, Bordj Badji Mokhtar, In Guezzam, en Algérie). Ainsi, les villes du Sahara méridional (Agadez, Arlit, Nouadhibou, Nouakchott), en forte croissance, voient leurs effectifs augmenter subitement lors des deux pics de cet épisode de sécheresse (en 1968 et en 1984). Mais cette sécheresse redistribue les populations toujours à l'intérieur du Sahara, alimentant surtout un courant de migration vers sa partie septentrionale et renforçant ainsi la polarisation. Par ailleurs, la répartition des populations de même origine dans les villes du Sahara sahélien et du Sahara maghrébin crée un réseau transnational au travers duquel circulent les personnes, ce qui donne lieu à une sorte de « sédentarité nomade ».

Le maillage urbain comme outil de contrôle de l'espace saharien

Les États interviennent dans le contrôle d'un espace devenu stratégique en renforçant le maillage urbain à travers une politique de promotion administrative des villes. En effet, le développement des villes du Sahara, même lorsqu'il repose sur l'exploitation des ressources naturelles, obéit surtout aux considérations stratégiques des États.

Ainsi, la ville algérienne de Ouargla s'est développée grâce à l'exploitation du pétrole, mais elle doit son dynamisme démographique avant tout à sa promotion au statut de métropole régionale portée à bout de bras par l'État. Celui-ci en a fait à la fois le chef-lieu de la wilaya (préfecture) éponyme, avec toutes les fonctions et les services que cela implique, et la capitale administrative – avec toutes ses fonctions administratives, militaires, sanitaires et éducatives – d'une très vaste région, la wilaya des Oasis, qui couvre tout le nord-est du Sahara et représente la région la plus peuplée et la plus riche du Sahara algérien.

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La ville de Laayoune, au Sahara occidental –  contrôlé par le Maroc depuis 1975 –, naguère bourgade d'une cinquantaine d'habitations est devenue le point d'appui pour la politique marocaine de peuplement, de mise en valeur du « Sahara marocain », ainsi que le quartier général pour toutes les opérations militaires marocaines menées contre les indépendantistes du Front Polisario (Front populaire pour la libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de Oro), qui contestent la mise sous contrôle marocain de ce territoire. Ainsi, en moins de vingt ans, Laayoune s'est transformée en une ville de plus de 190 000 habitants. Cette population se compose à la fois de nomades sédentarisés, de populations sahraouies émigrées que le pouvoir marocain a fait revenir pour être décomptées dans le référendum sur l'autodétermination, dont l'organisation – proposée par l'O.N.U. en 1988 dans le cadre d'un accord de paix – est sans cesse reportée, et de populations venues du nord du Maroc, encouragées par la politique incitative du pouvoir royal (doublement du salaire des fonctionnaires et subventions sur les produits de consommation). Le développement des fonctions et des infrastructures de la ville a permis d'en faire une base logistique efficace pour l'exploitation des phosphates de Bou Craa, mines pourtant situées à une centaine de kilomètres de Laayoune, ce qui implique des migrations pendulaires des travailleurs.

Enfin, Sebha en Libye et Tamanrasset en Algérie sont des villes créées ex nihilo aux confins de leurs pays et développées par les États pour s'en assurer le contrôle et affirmer ainsi leur pouvoir sur l'ensemble du territoire national. Le développement de ces villes, loin de toute ressource naturelle et très éloignées du centre du pouvoir (Tamanrasset est à 1 200 kilomètres d'Alger, Sebha à 800 kilomètres de Tripoli), repose entièrement sur leur promotion en tant que capitales régionales. Peuplée d'à peine 6 000 habitants en 1966, Tamanrasset, chef-lieu de la wilaya éponyme et capitale de la région du Hoggar, est, en 2012, une ville de quelque 100 000 habitants située dans un environnement totalement désertique ; Sebha, chef-lieu de la province éponyme et capitale de la région historique du Fezzan, compte, en 2012, 140 000 habitants.

Le Sahara, vers un devenir transnational et cosmopolite

La forte croissance de ces deux villes sahariennes, alors qu'elles ne sont pas dotées en ressources naturelles, est en grande partie le résultat de mouvements transnationaux de population suscités paradoxalement par l'affirmation des frontières, par le développement de ces régions marginales excentrées et, notamment, par les infrastructures de transport. Le Sahara compte, en plus des trois grandes routes transsahariennes qui partent respectivement de Tanger, Alger et Tripoli et des milliers de kilomètres de routes qui s'y raccordent, une trentaine d'aéroports.

Migrants transsahariens - crédits : Aldo Pavan/ The image bank unreleased/ Getty Images

Migrants transsahariens

Ce développement des confins a stimulé la circulation des hommes et des marchandises au sein des parties sahariennes de chaque pays, mais aussi entre elles. C'est ainsi que, en dehors du pouvoir des États, voire à leur insu, se mettent en place de véritables couloirs d'échanges informels, par lesquels transitent les flux migratoires transnationaux. Alors que les échanges formels entre États maghrébins et sahéliens restent insignifiants, les échanges informels transsahariens prennent une réelle importance. Ils sont à la source de nouvelles filières et routes commerciales et participent donc à la croissance des villes sahariennes. Arlit, Tamanrasset ou Sebha, qui ont connu une forte croissance, se situent sur ces grands axes d'échanges. Arlit, vouée à la seule activité minière, connaît une croissance accélérée parce qu'elle se situe à mi-chemin entre Agadez et Tamanrasset, deux carrefours migratoires et d'échanges. Cet axe témoigne de la reprise des échanges entre Maghreb et Sahel. Les villes frontières de Tamanrasset ou Sebha, conçues comme des vitrines et des postes avancés du nationalisme algérien ou libyen, sont aujourd'hui transfigurées par les mouvements transnationaux de population qu'elles ont elles-mêmes suscités en s'affirmant comme pôles nationaux. Elles sont devenues de véritables « tour de Babel » africaines, dont la population est constituée en grande partie d'étrangers de multiples nationalités. Elles illustrent le devenir transnational et cosmopolite du Sahara, un désert qui s'est structuré par un millénaire d'échanges transsahariens.

— Ali BENSAÂD

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Écrit par

  • : maître de conférences en géographie à l'université d'Aix-Marseille, enseignant-chercheur au C.N.R.S., Institut de recherche et d'études méditerranéennes sur le monde arabe
  • : professeur de géographie et directeur du Montana Public Policy Research Institute, université du Montana, Missoula

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