SAIKAKU IHARA (1642 env.-1693)
Le romancier
L'essor économique qui suivit le rétablissement de la paix et l'unification de l'Empire par les shōgun Tokugawa (cf. japon - Histoire) avait amené la formation d'une bourgeoisie marchande qui, principalement à Ōsaka, se dota bientôt d'une culture d'un type nouveau, aussi éloignée de l'esthétisme traditionnel de l'ancienne aristocratie de cour que du néo-confucianisme de la classe militaire dominante. Une littérature d'inspiration populaire, dont la diffusion était favorisée par la généralisation de l'imprimerie vers 1620, s'était constituée dans la première moitié du xviie siècle ; littérature édifiante, didactique, divertissante : il s'agit des kanasōshi, les « écrits en caractères phonétiques », dont la diffusion traduit l'alphabétisation de couches de plus en plus larges de la moyenne et petite bourgeoisie des villes.
L'introduction d'un nombre croissant d'idéogrammes chinois dans ces écrits permet de mesurer très exactement les progrès de cette nouvelle culture qui, tout en accueillant divers éléments de la tradition classique, s'attache d'autre part à répondre aux préoccupations plus immédiates de lecteurs qui veulent y retrouver le fruit de leur propre expérience et le reflet de leur conception du monde et de la société.
C'est précisément à ces aspirations, à ce besoin que répondra d'emblée Saikaku quand, vers la quarantaine, il se met à composer des récits romanesques. En 1682, il publie la première de ses « histoires de passion amoureuse » (kōshoku-mono), la Vie d'un homme (Ichidai otoko), dont le succès est immédiat. Son propos est d'écrire un Genji monogatari bourgeois et moderne : afin que nul n'en ignore, le livre est divisé, comme son lointain modèle, en cinquante-quatre chapitres. Le sujet est résolument immoral, en une époque où la classe dirigeante se veut austère : tournant le dos à la pruderie officielle, son héros se livre à une quête amoureuse sans vergogne dans les fameux « quartiers des fleurs » où, parmi les courtisanes de haut vol, le bourgeois fortuné réalise son rêve d'émancipation vis-à-vis du système féodal qui lui dénie toute existence politique. Quête décevante cependant, tout autant que celle du Genji, qui se termine, la soixantaine venue, par un symbolique embarquement pour une mythique « île-aux-femmes ».
Une Vie d'un second homme (Nidai otoko, 1684) montre que Saikaku a du premier coup reconnu son public ; l'on y voit le fils du héros de son ouvrage précédent poursuivre le dessein de son père, avec moins de succès encore ; il découvrira en effet que l'amour des courtisanes n'a que les apparences de la liberté, puisqu'elles restent en toute occurrence les esclaves de l'or.
Déjà le moraliste point, malgré les descriptions licencieuses auxquelles se complaît encore Saikaku, qui sans doute ne se souciait d'abord que de divertir ses lecteurs. Le tournant sera pris dans les Cinq Amoureuses (Kōshoku gonin onna), et surtout dans la Vie d'une femme (Ichidai onna), ouvrages parus en 1686. Le premier est une suite de cinq nouvelles relatant, à l'exception de la dernière qui selon l'usage se termine heureusement, les ravages exercés par la passion féminine. Trois de ces récits, inspirés de faits divers tragiques, présentent un intérêt tout particulier du fait que Chikamatsu les traitera un peu plus tard, à sa manière, dans des « drames bourgeois ».
La Vie d'une femme, véritable roman au sens moderne du terme, passe à bon droit pour le chef-d'œuvre de Saikaku. Le conflit de l'amour avec les lois de la société, qui se résout par la violence et la mort dans les Cinq Amoureuses, se traduit ici par une longue et lente déchéance de la femme qui se trouve isolée dans un entourage ne connaissant[...]
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Écrit par
- René SIEFFERT : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
Classification
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JAPON (Arts et culture) - La littérature
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