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SAINT-CYR (P. Mazuy)

Peaux de vaches (1988), puis Travolta et moi (1992) avaient attiré l'attention de la critique sur Patricia Mazuy. Son talent de cinéaste est confirmé avec brio par ce film.

Inspiré par un livre d'Yves Dangerfied, La Maison d'Esther (Grasset), Saint-Cyr se lit à la fois comme un film historique en costumes d'époque – d'ailleurs non conforme aux conventions du genre, car il ne met en scène ni destin édifiant ni événements importants – et comme un film d'actualité. Un film historique, puisque l'intrigue se déroule à partir de 1686, sous le règne de Louis XIV, et que la fiction s'appuie sur un projet de Mme de Maintenon, épouse morganatique du Roi-Soleil. Film d'actualité, d'inspiration « féministe », car l'interrogation qui s'y trouve formulée sur le destin de la femme au xviie siècle nous concerne encore.

Après un prologue qui suggère l'attrait, d'une sensualité prononcée, que Mme de Maintenon exerce sur le roi, le récit s'ouvre en montrant l'arrivée d'un long convoi qui, à pied et en tombereaux, conduit jusqu'aux portes de Saint-Cyr des dizaines de petites filles en guenilles, sales, mal coiffées, comme « raflées » par des sergents recruteurs. Quel sera leur destin ? L'emprisonnement ou la liberté ?

Autrefois, Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon – remarquablement interprétée par Isabelle Huppert – s'était servie de sa beauté et de son art de la séduction pour s'élever à la cour de Versailles. Elle utilise maintenant le pouvoir qu'elle exerce sur le roi (Jean-Pierre Kalfon) pour réaliser le grand projet qui lui tient à cœur : créer la maison d'éducation de Saint-Cyr. Située près de Versailles, Saint-Cyr est une institution très originale pour l'époque. Là doivent être accueillies, logées et instruites deux cent cinquante filles de la noblesse provinciale pauvre, sélectionnées parmi beaucoup d'autres.

Ce projet répond à une expérience personnelle. Mme de Maintenon sait qu'une fille noble sans argent (et donc sans dot) devient nécessairement religieuse ou courtisane. Elle souhaite réparer ses fautes passées en mettant sur pied un dessein généreux. Lorsqu'elle confie aux éducatrices qui l'entourent ces fillettes dont robes neuves, rubans et coiffes transforment très vite l'apparence, elle définit clairement l'esprit de l'institution : « Je veux une éducation solide, éloignée de toutes les petitesses du couvent. Je veux de l'esprit, de l'élévation, une grande liberté dans la conversation. »

Comme le suggèrent les jeux de rôle entre les pensionnaires qui simulent tour à tour les professions d'intendant, de juge ou d'avocat, Saint-Cyr a pour vocation de donner une formation intellectuelle et de transformer de jeunes provinciales, parlant le patois, en femmes indépendantes, libres et émancipées, rapprochées par une même culture. Patricia Mazuy illustre ce dessein en observant, sur dix ans, le comportement de deux amies, objet de l'attention toute particulière de l'épouse du roi : Lucie de Fontenelle (Nina Meurisse) et Anne de Grandcamp (Morgane More), l'une épousant totalement la religiosité de Mme de Maintenon, tandis que l'autre prendra le parti de la révolte.

À Saint-Cyr en son commencement, la culture passe par le théâtre qui, dans le récit, joue un rôle de révélateur des caractères et des mentalités. Au cours d'une représentation d'Iphigénie, Mme de Maintenon discerne chez Lucie et Anne, qui ont dénoué leurs cheveux pour se rendre plus séduisantes, l'éveil des sens, la prise de conscience de la force des passions ; effrayée, elle conjure Racine (Jean-François Balmer) d'écrire une tragédie « morale » : ce sera Esther.

Quelque temps plus tard, la représentation de[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

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