SAINT-ESPRIT
Article modifié le
Le Saint-Esprit, l'Esprit de Dieu, tient dans le judéo-christianisme une place paradoxale : il y apparaît à la fois omniprésent aux yeux de la tradition biblique et dogmatique et, en maintes époques du moins, assez largement méconnu chez nombre de croyants.
Il est mentionné dès la première page de la Bible, sous la forme de la ruaḥ hébraïque : il « planait sur les eaux » au commencement, lorsque « Dieu créa le ciel et la terre » (Genèse, i, 1-2). Il resurgit aux toutes dernières lignes du Nouveau Testament sous la désignation grecque de pneuma, comme celui qui oriente le regard et la prière de l'Église vers le retour du Christ à la fin des temps : « L'Esprit et l'Épouse disent : Viens ! » (Apocalypse, xxii, 17). Entre ces deux extrémités de l'histoire, il est présenté comme opérant à travers tout le déploiement de l'Ancienne Alliance et à travers toute l'histoire de l'Église, selon l'amplitude que le Nouveau Testament donne à cette dernière : c'est en Lui qu'est censée s'accomplir cette rencontre de Dieu et des hommes qui est indissociablement révélation du mystère de Dieu et réalisation du salut du monde. Tous les envoyés de Dieu pour cette œuvre de révélation et de salut sont sous sa mouvance, y compris et d'abord Jésus-Christ lui-même.
D'où l'étonnement que l'on ne peut manquer de ressentir devant sa relative méconnaissance par les croyants eux-mêmes. Des publications contemporaines ont pu le présenter comme « le Dieu inconnu » ; et c'est, au fond, tout au long de l'histoire chrétienne que s'est reproduite cette réaction que saint Paul lui-même s'attira à Éphèse aux tous débuts de l'Église : « Mais nous ne savions même pas qu'il y a un Esprit Saint ! » (Actes, xviii, 2). Si dans leur liturgie, et du même coup dans leur doctrine, les Églises d'Orient lui ont toujours fait la part belle, l'Occident a pu, non sans raison, être accusé d'estomper son rôle au bénéfice quasi exclusif du Christ (christomonisme) et il n'est pas sans signification, à cet égard, que les réveils pneumatiques qui n'ont pas manqué à travers les siècles aient dès lors le plus souvent pris l'allure de mouvements plus ou moins contestataires vis-à-vis des Églises établies.
Le renouveau et le succès contemporains des études bibliques et patristiques permettent une plus juste évaluation de l'importance qui, en Dieu même et dans ses interventions de salut dans l'histoire, doit être reconnue à Celui dont il est dit à la fois qu'« il scrute les profondeurs de Dieu » et qu'il s'offre aussi bien à vivifier « l'intime des cœurs » qu'à « renouveler la face de la terre ». Et les théologiens sont d'autant plus invités à tenir compte des résultats de ces enquêtes historiques qu'avec le « mouvement charismatique » on assiste à une remise en valeur sans précédent du rôle de l'Esprit saint dans l'existence et dans l'histoire des croyants.
Le « pneuma » dans l'Ancien Testament
Le terme grec pneuma (« esprit ») a été utilisé par les versions grecques de l'Ancien Testament pour traduire le terme ruaḥ de la Bible hébraïque. En plus de sens physiques tels que « vent », « air », ou anthropologiques tels que « haleine », « souffle », « respiration » (et, secondairement, « âme », « vie », « cœur », « esprit »), ce mot comporte un sens théologique important : « l'esprit » ou « le souffle de Yahvé ». Cet esprit de Dieu est son activité déployée dans le monde et dans l'histoire. On peut le considérer, dans sa source, comme force divine émanant de Dieu, ou dans son résultat, comme esprit insufflé dans l'homme. De ce point de vue, l'esprit de Dieu vient « dans » (Nombres, xxvii, 18) ou « sur » (Juges, iii, 10) l'homme, « fondant » (Juges, xiv, 6 ; I Sam., x, 6) ou « tombant » sur lui (Ezéchiel, xi, 5) ou encore le « revêtant » (Juges, vi, 34 ; I Chron., xii, 19 ; II Chron., xxiv, 20) comme un manteau. La Bible se représente cette activité divine comme une inspiration, une prise de possession qui établit l'homme dans une situation particulière par rapport à Dieu, qui le « change même en un autre homme » (I Sam., x, 6). Cette « in-fluence » divine se manifeste déjà dans le don de l'existence (Gen., ii, 7 ; vii, 22 ; Job, xxvii, 3) présentée comme un souffle que Dieu prête à l'homme (Job, xii, 9-10) et que ce dernier doit rendre à sa mort. Elle se manifeste aussi dans l'intelligence (Job., xxxii, 8) et la sagesse(Sag., i, 5 ; ix, 17), qui sont dans l'homme le signe de la présence de l'esprit de Dieu. Ce don de l'esprit atteint principalement les hommes qui doivent exercer une fonction particulière dans le peuple de Dieu. C'est ainsi que l'esprit de Dieu est donné à Moïse, à Josué (Nombres, xxvii, 18), aux anciens du peuple (Nombres, xi, 25), aux guerriers (Jug., vi, 34) et aux juges (Jug., iii, 10), aux rois (I Sam., xvi, 13) et, de façon particulière, aux prophètes (II Rois, ii, 15), qui sont au premier titre les hommes de l'esprit (Osée, ix, 7), chargés de la Parole. Ce don de l'esprit, lié ou non à un rite (imposition des mains : Deut., xxxiv, 9 ; onction : I Sam., xvi, 13 ; Is., lxi, 1), peut donner à l'inspiré des pouvoirs exceptionnels : force extraordinaire (Jug., xiv, 19 ; xv, 14), connaissance surnaturelle (Gen., xli, 38), délire extatique (I Sam., xix, 23), déplacements (I Rois, xviii, 12 ; Ézéch., viii, 3). Inversement, si Dieu retire son esprit, il peut en susciter un autre (I Sam., xvi, 14 sqq.), esprit mauvais capable de porter au délire. Le Messie attendu par Israël sera oint de l'esprit, qui fera de lui un Roi pieux et sage (Is., xi, 2). Il en va de même du Serviteur d'Isaïe (Is., xlii, 1). L'esprit de Dieu sera un jour répandu à profusion (Is., xxxii, 15) sur tout le peuple et même sur toute l'humanité(Joël, iii, 1-2) et s'établira en permanence dans le peuple (Is., lix, 21 ; Is., lxiii, 11) comme fondement d'une alliance nouvelle à laquelle Israël pourra être fidèle parce qu'il possédera l'esprit d'obéissance à la loi divine (Ézéch., xi, 19 ; xxxvi, 26-27). L'esprit de Dieu est donc toujours dans l'homme une force réalisant la volonté de Dieu. Cette force est supérieure à la faiblesse constitutive de l'homme (Is., xxxi, 3 ; xl, 6-7). Elle est un don gratuit qui prend possession de l'homme sans lui demander son avis. Considéré du point de vue de Dieu, l'esprit s'identifie à Dieu lui-même : c'est Dieu agissant comme force irrésistible dans le monde et principalement réalisant sa volonté dans l'homme. C'est cette force incommensurable (Is., xl, 13) qui apparaît planant sur les eaux à la création (Gen., i, 2).
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Joseph DORÉ : théologien, docteur en théologie, doyen de la faculté de théologie de l'Institut catholique de Paris
- Richard GOULET : docteur de troisième cycle, chargé de recherche au C.N.R.S.
Classification
Autres références
-
ÂME
- Écrit par Pierre CLAIR et Henri Dominique SAFFREY
- 6 021 mots
...ruah) pour que l'homme soit rempli de vie divine. Cette possession de l'homme par le ευ̃μα commence dès cette vie mortelle par le don du Saint-Esprit(Romains, v, 5), mais n'obtient son plein effet qu'après la mort. Aussi le christianisme conçoit-il l'immortalité dans la restauration intégrale... -
ANASTASE LE BIBLIOTHÉCAIRE (810 env.-env. 880)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 455 mots
Linguiste distingué et cardinal de Rome né autour de 810, probablement à Rome (Italie), mort vers 880, Anastase le bibliothécaire est un conseiller politique influent des papes du ixe siècle.
Apparenté à un évêque italien et reconnu pour sa parfaite connaissance du grec, Anastase est nommé cardinal-prêtre...
-
ANNONCIATION
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 169 mots
- 1 média
Solennité des Églises chrétiennes, l’Annonciation commémore, le 25 mars, l’événement relaté par l’Évangile de Luc (chap. i, 26-38), moment où l’archange Gabriel annonce à la Vierge Marie qu’elle concevra un fils de l’ Esprit saint et qu’elle l’appellera Jésus.
-
APÔTRES ACTES DES
- Écrit par André PAUL
- 844 mots
Second tome d'une œuvre unique, attribuée à Luc, dont le premier est le troisième Évangile canonique. Les articulations entre les deux livres sont nombreuses. L'un et l'autre débutent par un prologue à l'adresse d'un même personnage, Théophile : manière hellénistique de composer l'histoire qu'accompagne...
- Afficher les 27 références
Voir aussi