SAINT-ÉVREMOND CHARLES DE MARGUETEL DE SAINT-DENIS DE (1614-1703)
Un indépendant
En le tenant éloigné de la France et de la cour, l'exil n'a pu que confirmer Saint-Évremond dans l'indépendance d'humeur et de pensée dont, dès sa jeunesse, il avait à ses dépens donné tant de preuves. Avec La Fontaine, il compte au très petit nombre des écrivains vraiment indépendants du siècle de Louis XIV. En littérature, ses opinions, si elles se rencontrent assez souvent avec celles de Boileau, n'ont jamais suivi le cours de la mode, non plus que l'élégance un peu apprêtée de son style, tant admiré de ses contemporains. Insensible aux succès de Racine, il demeurera constamment fidèle à Corneille. Son intérêt assidu pour les Anciens n'ira pas jusqu'à leur reconnaître la moindre supériorité sur les Modernes : il n'y a qu'à relire son essai Réflexions sur les divers génies du peuple romain dans les différents temps de la République, qui par endroits annonce Montesquieu. Si français qu'il fût de manières et de goût, il ne cédait pas d'avantage aux préjugés de l'amour-propre national et dans sa comédie posthume, Sir Politick Would-Be, où paraissent des Français, des Anglais, des Italiens, un Allemand, chacun selon le génie et avec les ridicules de sa nation, on sent passer le souffle du cosmopolitisme qui allait régner sur l'Europe au siècle suivant.
Comme beaucoup d'hommes de sa génération, il s'est d'emblée rangé parmi les disciples d'Épicure, mais sans s'embarrasser d'arguments scientifiques ou métaphysiques, ni s'inféoder à aucun parti. Attiré par Gassendi comme « le plus éclairé des philosophes et le moins présomptueux », il ne tarda pas à le quitter, et, s'il est demeuré épicurien, c'est à la façon de Pétrone, qu'il admirait d'avoir su si bien vivre et si bien mourir. Il observe, en matière de foi, la discrétion que la bienséance lui commande. Après avoir renvoyé dos à dos, pour le ridicule de leurs disputes, théologiens, jésuites et jansénistes, et, pour leur intolérance, catholiques et protestants, il note, dans ses Réflexions sur la religion, qu'un homme qui fait usage de la raison ne peut croire à ce que la religion enseigne ; tout au plus peut-il faire comme s'il y croyait, par obéissance et soumission. En quoi Saint-Évremond n'est pas éloigné de Pascal, mais sans arriver aux mêmes conclusions. Un esprit aussi raisonnable pouvait-il se résoudre à faire le sacrifice de sa raison, et un indépendant de cette trempe prendre le parti de l'obéissance et de la soumission ? Pour lui, la foi est tout entière l'affaire du cœur et du sentiment.
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Écrit par
- Jean THOMAS : inspecteur général honoraire de l'Instruction publique, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
Autres références
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LIBERTINS
- Écrit par Robert ABIRACHED et Antoine ADAM
- 5 715 mots
...sagesse, et, parmi toutes les vertus, l'amitié. C'est cet épicurisme délicat que l'on retrouve à la fin du siècle chez Chaulieu. Il inspire l'œuvre de Saint-Évremond (1614 env.-1703). Il faut ne pas connaître cette époque pour voir chez les épicuriens un égoïsme jouisseur et sottement optimiste. Personne...