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SAINT-JOHN PERSE (1887-1975)

Des huîtres de Francis Jammes à l'exil (1900-1940)

À la suite du tremblement de terre de 1897, qui ruina de nombreux planteurs, la famille quitta la Guadeloupe pour la France. À Pau, Alexis Léger allait trouver un monde, disparu depuis, d'exil et de légende, plein d'émigrés, de réfugiés, gravitant autour d'une ville universitaire, Bordeaux : il y rencontra Jacques Rivière, Alain-Fournier, Valery Larbaud et les huîtres énormes que Francis Jammes, à Orthez, offrait pour le « goûter ». À Bordeaux, il se passionne pour les Epinicies de Pindare et découvre la poésie-philosophie d'Empédocle. Il s'intéresse à la médecine, il étudie avec le professeur Régis, psychiatre de grand renom. Il s'initie à la géologie. Enfin, il se forme au droit romain.

Son père meurt subitement en 1907. Il prend en charge sa mère et ses sœurs. Sur le conseil de Claudel, il prépare le concours des Affaires étrangères, où il fut reçu (1914). Entre-temps (1911), il avait publié, sous son nom, Éloges, dans la première Nouvelle Revue française.

De 1916 à 1921, Léger séjourne en Chine, comme secrétaire à la légation de France à Pékin. Il allait découvrir un « précurseur » en Segalen : ce Breton essayait dans Stèles une « lecture » des signes géologiques et culturels de la Chine. C'est dans un petit temple taoïste désaffecté que le poète écrit Anabase (publié en 1924 sous le pseudonyme de Saint-John Perse). Au « Fils du ciel » dont la projection emplit l'œuvre de Segalen, il substitue le personnage du Prince, en qui il voit et la force et « la tige en fleur à la cime de l'herbe » ; le Prince dirige son peuple, dans les saisons, comme « la moisson des orges », et dans les espaces ; en même temps, le Prince est le Poète qui chante la montée de l'humanité vers une civilisation plus haute : les quatre mois de conquête militaire deviennent les quarante saisons de l'aventure humaine, « comme des pans de siècles en voyage ». Le passé de l'Asie est étalé sur un espace montant.

De 1925 à 1932, Léger fut le secrétaire et le conseiller d'Aristide Briand, dont il disait : « Il y avait en lui toute l'aristocratie d'un être de haute frondaison, nourri aux fortes racines de l'arbre populaire. » Alexis Léger prit sa tâche au sérieux et collabora étroitement au pacte de Locarno (1927). En 1938, il s'opposa à la politique « d'apaisement ». L'hostilité de Hitler à son égard était connue. Aussi bien, lors de l'occupation de Paris, son appartement fut saccagé ; une cantine pleine de manuscrits littéraires fut emportée ; un billet fut placé, avec ces mots : « Au diplomate le plus haï du Troisième Reich. » En octobre 1940, le gouvernement de Vichy le frappa de déchéance de la nationalité française. Ne pouvant plus rejoindre sa mère – qui mourut en 1948, sans qu'il puisse la revoir –, Alexis Léger s'embarqua pour l'Angleterre et, de là, pour les États-Unis. Il a « dit » l'exil dans ses poèmes, où il évoque l'Europe, et sa mère, à qui il dédia le poème Neiges : « Et celle à qui je pense entre toutes les femmes de ma race, du fond de son grand âge lève à Dieu sa face de douceur. » C'est l'Hégire de Saint-John Perse. Le tournant majeur.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Louvain, sous-secrétaire de la Congrégation de la foi, Rome

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Saint-John Perse - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Saint-John Perse

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